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Trois questions à Elsa Kohlhauer, maître de conférences en droit public à La Rochelle, pour mieux comprendre l'actualité politique

Un article rédigé par Tanguy Sanlaville - RCF Bordeaux, le 6 décembre 2024 - Modifié le 6 décembre 2024
L'invité RégionElsa Kohlhauer, professeure de droit public à l'Université de La Rochelle.

L'actualité politique récente s'est révélée très chargée en termes de mécanismes constitutionnels. Entre l'utilisation du 49.3, la censure du gouvernement et les appels de certains responsables politiques à une démission du Président de la République, il est aisé de se perdre. Pour y voir plus clair, nous avons échangé avec Elsa Kohlhauer, maître de conférences en droit public à l'Université de La Rochelle.

Maître de conférences en droit public, Elsa Kohlhauer revient sur les mécanismes constitutionnels qui entoure l'actualité politique. ©RCF17Maître de conférences en droit public, Elsa Kohlhauer revient sur les mécanismes constitutionnels qui entoure l'actualité politique. ©RCF17

Le jeudi 5 décembre, Michel Barnier a donc remis sa démission à Emmanuel Macron. Après avoir utilisé l'article 49 alinéa 3 en début de semaine, le désormais ex-Premier ministre a vu l'Assemblée nationale censurer son gouvernement, la première motion de censure adoptée depuis 1962, alors que Matignon était occupé par Georges Pompidou. Pour mieux comprendre les bases constitutionnelles de ces événements, nous avons interrogé Elsa Kohlhauer, maître de conférences en droit public à l'Université de La Rochelle.

RCF : Qu'est-ce que le 49.3, utilisé 113 fois depuis 1958 ?

Elsa Kohlhauer : L'article 49 alinéa 3 de la Constitution s'intègre dans l'article 49, qui évoque les différentes possibilités pour l'Assemblée nationale de mettre en cause la responsabilité politique du gouvernement. Il faut qu'une motion de censure soit déposée, donc un texte qui précise les raisons pour lesquelles on veut mettre un terme au mandat du gouvernement - la condition principale étant que la majorité absolue des membres de l'AN adopte cette motion. Ce qui, en vertu de l'article 50 de la Constitution, emporte automatiquement la démission du gouvernement.

L'article 49 alinéa 3 mobilise l'idée de la motion de censure, mais c'est à l'initiative du Premier ministre et c'est toujours à l'occasion de l'adoption d'une loi ; on dit que le Premier ministre met en jeu la responsabilité politique de son gouvernement. On peut avoir un gouvernement qui n'a pas une majorité de députés en faveur de sa loi, mais cela n'implique pas qu'il ait une majorité de députés contre lui. C'est en jouant dans cet interstice que le 49.3 est en général très efficace pour déborder l'absence de majorité en faveur d'une loi.

A l'origine, en 1958, il était utilisable à n'importe quel propos, pour n'importe quelle loi et dans n'importe quelles circonstances. En 2008, on a circonscrit les circonstances dans lesquelles les gouvernements peuvent utiliser le 49.3 : on a limité l'hypothèse à une loi par session parlementaire, tout en laissant la possibilité illimitée d'y recourir pour les lois de finance et pour les lois de financement de la Sécurité sociale. On a considéré qu'il fallait toujours qu'un gouvernement puisse faire adopter une loi du budget ou une loi de financement de la Sécurité sociale.

Après la démission du gouvernement, quelle est la suite de la procédure ?

Le Président n'a pas d'autre choix que d'accepter la démission de Michel Barnier... Ce qui ne signifie pas qu'il ne peut pas le renommer : il pourrait renommer Michel Barnier, avec un gouvernement composé autrement, sans doute. C'est ce que Charles de Gaulle avait fait en 1962, en renommant Georges Pompidou Premier ministre à l'issue des élections législatives qu'il avait provoquées.

C'est l'article 8 de la Constitution qui détermine le pouvoir présidentiel de nomination du Premier ministre. Il est entendu, et d'ailleurs Emmanuel Macron l'a très bien prouvé cet été, qu'il dispose d'une très grande latitude, y compris en termes de temporalité. Le gouvernement de Michel Barnier est démissionnaire, mais il va rester en poste le temps de gérer les affaires courantes.

Cela ouvre une période d'incertitude : les cartes reviennent au Président de la République, qui va très certainement réitérer la phase de consultation des principaux partis politiques pour essayer de faire émerger une nouvelle figure primo-ministérielle. Le droit offre un cadre, mais il est très difficile d'anticiper la décision d'Emmanuel Macron, qui depuis le 9 juin dernier semble surprendre et prendre de court tous ceux qui jouent à anticiper ce qui pourrait advenir.

Plusieurs responsables politiques, de droite comme de gauche, ont appelé le Président de la République à démissionner. Quel est le cadre prévu par la Constitution ?

Il est assez léger : le Président de la République est tout à fait libre de mettre un terme à ses fonctions, le général de Gaulle l'a fait en 1969 et rien ne l'y obligeait. De la même manière, Emmanuel Macron est tout à fait libre de démissionner ou non. Ceux qui appellent de leurs voeux sa démission espèrent sans doute qu'interviennent une élection présidentielle anticipée.

Sans doute que chaque parti politique y va de sa propre espérance sur quel candidat serait capable de remporter la mise, mais la seule décision qui vaille, c'est celle du Président de la République. Tout ce que dit la Constitution, c'est que si le Président démissionne, il faut que soient organisées des élections présidentielles dans un délai de 20 à 35 jours. C'est lui qui a les cartes en main et qui prend seul la décision.

RCF Bordeaux
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
L'invité Région
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