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Un pôle judiciaire national pour résoudre les affaires non élucidées

Un article rédigé par Clara Gabillet - RCF, le 18 janvier 2022 - Modifié le 18 janvier 2022
Le dossier de la rédactionUn pôle judiciaire national pour résoudre les affaires non élucidées

On les appelle les “cold cases”. Des affaires non élucidées, des crimes dont la trace de l’auteur est introuvable depuis des années. Parmi eux, l'ombre de tueurs en série comme Michel Fourniret ou la mort du petit Grégory qui remonte à 1984. Pour avancer dans ce type d’enquête, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a annoncé la semaine dernière la création d’un pôle judiciaire national dédié aux crimes non-résolus. Il suscite beaucoup d’espoir.

©Unsplash©Unsplash

Il doit voir le jour le 1er mars prochain à Nanterre dans les Hauts-de-Seine près de Paris. Composé de trois juges d’instruction, un magistrat du parquet, trois greffiers et deux juristes spécialisés, ce pôle judiciaire national sera dédié uniquement aux cold cases. Après environ 18 mois d’enquête, un dossier non élucidé peut être confié à ce pôle. Il va donc hériter de 241 dossiers : 173 affaires non élucidées et 68 procédures de crimes en série. 

 

Une demande des familles de victimes


Une bonne nouvelle pour les familles des victimes dont certaines demandaient la création d’une telle instance. C’est le cas d’Eric Mouzin, le père d’Estelle Mouzin, petite fille disparue en 2003 à Guermantes (Seine-et Marne). Le tueur en série Michel Fourniret est soupçonné de l’avoir tuée. Mais son corps n’a jamais été retrouvé et Michel Fourniret est mort. Eric Mouzin avait écrit une lettre au garde des Sceaux pour lui demander la mise en place rapide de ce pôle. 


C’est donc chose faite, grâce à la promulgation le 23 décembre dernier de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. "La justice fonctionne en tuyaux d’orgue, explique maître Didier Seban, avocat du père d’Estelle Mouzin. Chaque fois qu’un meurtre est commis sur le territoire national, le lieu de compétence est le lieu où ce meurtre est commis. À chaque fois, un juge d'instruction est nommé. Il va enquêter sur cette affaire. Mais il n’est saisi que de cette affaire donc il ne peut pas rapprocher ces affaires avec celles commises dans d'autres tribunaux. On est restés avec un système figé qui ne permettait pas de voir aboutir ces enquêtes, alors que nous savons que les criminels se déplacent."
Maître Didier Seban se bat depuis 20 ans aux côtés de sa consœur maître Corinne Herrmann pour une meilleure prise en charge de ces affaires.


Une démarche satisfaisante mais des moyens trop faibles


C’est une victoire pour beaucoup qu’un tel pôle soit créé pour s’occuper d’affaires aussi lourdes. Mais le nombre de personnes prévues, trois juges d’instruction, semble un peu insuffisant. "240 dossiers sur trois magistrats, ça fait 80 dossiers par juge. Des dossiers volumineux, complexes. À mon avis, c’est beaucoup pour qu’on puisse en espérer des résultats. L’outil est bon mais est-ce qu’on a armé suffisamment l’équipage qui va devoir manœuvrer et se servir de cet outil-là ?", s’interroge Ludovic Friat, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats (USM). Il souligne aussi le manque d’effectif chez les enquêteurs, notamment les officiers de police judiciaire, sur lesquels les magistrats doivent s’appuyer.


Un pôle pour susciter des vocations ?


Avocats et magistrats espèrent donc que la création de ce pôle suscitera des vocations. "Ce seront des juges volontaires qui voudront se consacrer à l’enquête, se réjouit l’avocat spécialiste des ces affaires Didier Seban. C’est très important pour nous car on rencontre des magistrats convaincus mais des fois on rencontre aussi des magistrats que ces affaires n’intéressent pas, qui nous disent ‘Vous faites de l’archéologie judiciaire’. Or, pour les familles, c’est comme si c’était hier. Il ne peut pas y avoir de paix tant que l’auteur de leur malheur n’est pas jugé et reconnu coupable. Il faut aussi que les avocats se spécialisent dans ces affaires et aident à leur résolution."

 

"La culture cold case doit se développer pour que la justice soit au niveau des exigences requises pour ce sujet délicat"


Tout cela participe d’une culture du cold case, comme aime souligner Jacques Dallest. Ce magistrat est procureur général de la cour d'appel de Grenoble. Il a remis un rapport il y a près d’un an au gouvernement sur le traitement des crimes non-résolus. La culture cold case, "c’est une forme de prise de conscience d’une problématique, d’un intérêt qui veut dire qu’on acquiert des connaissances, une façon d’appréhender les dossiers". "Ça veut aussi dire être capable d’avoir de l’empathie pour les familles. Cette culture cold case doit se développer pour que la justice soit au niveau des exigences requises pour ce sujet délicat", estime-t-il.

 

Protéger les scellés


Mais il n’y a pas que sur le plan des effectifs que des progrès sont à faire. La question des scellés est, elle aussi, primordiale. Ces objets, pièces à conviction, sont essentiels dans beaucoup de résolutions de crimes. Mais ils sont parfois détruits, faute de place et quand le temps a trop duré. Pour autant, grâce aux progrès technologiques, certains deviennent particulièrement utiles des années plus tard. 


"Imaginez que le pôle de Nanterre souhaite être instruit de dossiers instruits à droite ou à gauche. Ils voudront récupérer le dossier mais également les objets qu’on appelle les scellés, qui sont stockés souvent dans les sous sols des palais de justice. Parce que dans ces pièces à conviction, il y aura peut-être la clef de la réussite de l’affaire. On peut avoir à réexaminer un scellé. Il est indispensable qu’ils soient conservés dans de bonnes conditions. Ceux-là, dans les affaires criminelles contre X, il faut absolument les traiter à part de façon à pouvoir les ressortir et réanalyser 15 à 30 ans plus tard", affirme Jacques Dallest.


Avocats et magistrats sont conscients que certains crimes ne seront jamais élucidés. Mais tout mettre en œuvre pour y parvenir semble être un devoir. "On doit ça aux familles et à la justice", explique le procureur général de la cour d'appel de Grenoble. 
 

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