Un romancier, un vrai

Tous deux ont en commun un goût immodéré de la satire. Tom Wolfe est l’inventeur du jubilatoire en littérature. Des riches de Park Avenue aux laissés-pour-compte du Bronx, de l’escroc converti au stoïcisme au mannequin manucuré, toutes ses personnages, toutes ses descriptions sont féroces, drôles, justes. En un mot, nous l’avons dit : jubilatoires.

Tom Wolfe voit tout, entend tout et ne passe rien. Il y a du Molière en lui, dans cette façon qu’il a de suivre la vanité dérisoire et la bêtise dévastatrice de ses personnages jusqu’au délire, jusqu’au grotesque. Jusqu’à l’indécence.

Ce n’est pas lui, l’écrivain, qui caricature la réalité ; c’est la réalité qui est caricaturale. Nos mesquineries sont monumentales, nos vices époustouflants, nos travers sans limite. Nous rivalisons d’inventivité dans la forfaiture et la petitesse. Nous sommes, sous sa plume, des minables en majesté : calculateurs, flambeurs, envieux, sans cesse la proie de passions ridicules et de certitudes en papier, maniant les clichés et les idées convenues avec grandiloquence.

Tom Wolfe a donné vie au bourgeois gentilhomme des démocraties modernes. Il a ressuscité les petits marquis, les précieuses ridicules, les malades imaginaires qu’abrite notre époque, à la fois décadente et contente d’elle-même. Il s’inscrit ainsi dans la grande tradition, française et non pas new-yorkaise, des Moralistes, ces auteurs incisifs et percutants du siècle de Louis XIV, qui avaient parfaitement compris que ridiculiser est bien plus efficace que sermonner, et que le rire vaut toutes les leçons de morale.

Tom Wolfe est l’un des rares romanciers comiques, chez qui le rire emporte tout mais ne pardonne rien : nous sommes, tels qu’il nous décrit, définitivement ridicules. Le comique est l’une des choses les plus difficiles, l’un des arts les plus ardus. Il est bien plus délicat de faire rire que de faire pleurer. Et bien plus délicat encore de dire la vérité en faisant rire. Tom Wolfe y excellait. Il est même l’un des rares à avoir atteint une telle excellence.

Il se pourrait qu’il soit parmi les plus grands auteurs de ces dernières années. Et si vous n’êtes pas convaincu, il vous reste Philip Roth, son frère en sarcasme.