Les médailles sont la quête des sportifs, la gloire des nations et la fierté des spectateurs. Mais que viennent-elles vraiment récompenser ? Quel mérite le public vient-il applaudir ? Petit détour par la Grèce Antique pour comprendre notre actualité.
Ils se sont tous durement entrainés, mais certains resteront au pied du podium…sans récompense. Pour le public, la remise des médailles est un moment magique. Mais dans ces événements euphoriques, que viennent applaudir les milliers de spectateurs ? Le courage, une résistance au stress de la compétition, un mental travaillé toute l’année ? Ou un privilège de naissance entretenu, une chance physique, un environnement familial d’exception ? La Grèce antique offre un éclairage intéressant pour mieux comprendre ce que les médailles récompensent.
« Etre toujours le meilleur et surpasser tous les autres », voilà le conseil que le vieux Pelée donnait à son fils Achille dans l’Illiade. Alors que les premiers champions commencent à grimper sur les podiums, ce vers de l’Illiade encourageant leurs héros vient résumer l’objectif des tous premiers jeux olympiques.
« Etre toujours le meilleur et surpasser tous les autres »
Un objectif éducatif en quelque sorte, destiné non seulement aux vainqueurs, mais à l’origine à tous ceux qui lisaient les odes, à toute l'élite des cités grecques. « Et ces civilisations aristocratiques, peu à peu, se sont rendues compte que pour gagner, il ne suffisait pas d'être le meilleur de naissance, il fallait s'entraîner, et s'entraîner énormément » souligne Paul Demont, professeur émérite de la Sorbonne Université, et auteur de « La cité grecque archaïque et classique et l'idéal de Tranquillité », publié aux éditions Belle Lettre. Il ajoute que ce qui était au départ une affaire de famille est devenu progressivement une affaire de professionnels, ou presque.
Gagner, c’était d’abord vivre à part. « Les athlètes étaient soumis à un régime de vie très différent des autres. Un régime de vie codifié ensuite par la médecine antique - d'une façon assez peu scientifique ». Et de citer par exemple les lutteurs, dont on exigeait qu’ils mangent énormément de viande pour leur musculature. A cela s’ajoutait un régime très complexe d'entraînement, de course et d’abstinence sexuelle extrêmement précise. « La vie de ces pauvres athlètes n'était pas si facile. Elle est moquée par le philosophe de l’école stoïcienne Epictète ».
Tu seras obligé de manger de force, renoncer aux pâtisseries, t'entraîner à l'heure prescrite, dans la chaleur, dans le froid, ne pas boire d'eau, ni de vin, te livrer à ton maître comme à un médecin
Ainsi dans son ouvrage « Manuel », il rappelle au futur compétiteur ce qui l’attend : « Tu seras obligé de manger de force, renoncer aux pâtisseries, t'entraîner à l'heure prescrite, dans la chaleur, dans le froid, ne pas boire d'eau, ni de vin, te livrer à ton maître comme à un médecin, ensuite te lancer dans un concours, te démettre le bras, te tordre la cheville, avaler toute la poussière des prises, être fouetté parfois, et après tout ça, être vaincu ». L'image de l'athlète, poussé dans ses limites, n'était pas forcément une image d'athlète glorieux, triomphant, en tout cas du point de vue de l'intelligentsia. La victoire des sportifs n’a donc pas toujours donné lieu à l’émerveillement qu’il provoque aujourd’hui.
Dès lors, quel est le ressort de l’admiration vouée aux sportifs aujourd’hui ? A quoi tient-elle ? Pour Raphael Verchère, professeur de philosophie dans l'Académie de Lyon qui consacre ses travaux à l'éthique du sport, la réussite sportive qui est mise en avant depuis les jeux olympiques de Pierre de Coubertin, c’est le mérite rétributif. « En clair, quel que soit le travail fourni, c’est le résultat qui est félicité. En ce sens, le sport véhicule encore des valeurs aristocratiques : si le sportif est fort, c’est qu’il est sûrement né avec quelque chose en plus ». A l'opposé, il y a le mérite moral, qui va désigner les efforts accomplis pour essayer d'atteindre un certain niveau de performance. Celui qui est méritant, c’est celui qui va travailler régulièrement, toute l’année, et peu importe si l’épreuve est réussie.
Cette représentation du sport qui circule depuis les années 60, va montrer « un champion qui travaille plutôt qu'un champion qui se donne la peine de naître, pour un peu paraphraser Beaumarchais. Ce qui n’est pas sans intriguer, parce qu'on ne sait plus vraiment ce qu'on applaudit au sommet du podium. Est-ce qu'on applaudit simplement quelqu'un qui a eu simplement un privilège de naissance, physiologique, social ou même psychologique ? Ou est-ce qu'on applaudit vraiment... la volonté, l'abnégation du sportif en fait. Tout ça, ça s'entremêle désormais » souligne Raphael Verchère, auteur de « Sport et mérite, histoire d'un mythe et philosophie du triathlon aux éditions du Volcan ». Avant de s’interroger « à partir du moment où tous ceux qui s’entraînent ne reçoivent pas de médailles…Alors les podiums sont-ils vraiment justes ? ».
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