C’est le premier des trois vaccins développés par la Russie. Trop rapidement selon certains. Il a été élaboré selon la même technique qu’AstraZeneca, grâce au "vecteur viral". Deux doses sont nécéssaires à 21 jours d’intervalle. Et il présente deux atouts. D’abord son prix : moins de 10 dollars la dose, ce qui en fait l’un des vaccins les moins chers du marché. Mais aussi son efficacité : plus de 91,6 % selon la vue médicale The Lancet.
Spoutnik, son nom, fait référence à une grande victoire pour la Russie : la mise en orbite en 1957 du premier satellite. Vous l’aurez compris, cela représente beaucoup pour la Russie, au-delà même du plan sanitaire. "Il n’allait pas de soi que la Russie soit en mesure de concevoir un vaccin aussi rapidement. L'idée reçue, c’est que l’état de la médecine en Russie est dégradé. C’est aussi un nouveau vecteur de diplomatie pour la Russie", explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco russe à Moscou.
Mais l’Union européenne ne l’entend pas de la même façon. Thierry Breton, le commissaire européen en charge de la vaccination a assuré sur TF1 que l’Union européenne n’avait pas besoin du vaccin Spoutnik-V. Un message auquel le président russe a répondu : "On peut se demander quels sont les intérêts protégés, ceux des laboratoires pharmaceutiques ou ceux des Européens".
La Commission européenne confirme que les doses commandées à Pfizer-BioNtech, Moderna et AstraZeneca seront suffisantes. "Nous pouvons décider à tout moment d’étendre le portefeuille des vaccins à un nouveau vaccin. Ce n’est pas fermé. Nous pensons qu’avec les lignes de production que nous avons établies, nous serons en mesure d’assurer la vaccination de 70 % de la population adulte dans l’été", précise son porte-parole chargé de la Santé Stefan de Keersmaecker.
Pour l’instant, le vaccin n’a pas encore été autorisé par l’Agence européenne du médicament, une étape obligatoire avant la mise sur le marché.
Le sujet divise au sein même des États membres. La chancelière Angela Merkel s’est montrée favorable à ce vaccin et n’exclut pas d’en commander en cas de besoin. La France, elle, reste sur la ligne européenne. Et l’Italie a fait le choix d’en produire dès juillet, sans attendre d’autorisation.
Ces divergences soulignent les difficultés de l’Union européenne à vacciner. Commander Spoutnik-V serait un aveu d’échec selon Patrick Martin-Genier. "L’Union européenne a signé des contrats très importants avec d’autres firmes donc ça remet en cause sa stratégie. Ce serait reconnaître sur le fond un échec de l’Union européenne, l’obligation d’aller voir ailleurs. Ce serait montrer que nous sommes dépendants d’une puissance qui n’est pas nécéssairement alliée et favorable à l’UE", détaille l’enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste des questions européennes.
Les divergences existent depuis longtemps. Mais récemment, il a notamment eu l’affaire Navalny, du nom de l’opposant au régime, dont l’empoisonnement et l’emprisonnement sont dénoncés par les puissances occidentales. En refusant le vaccin, l’Union européenne s’oppose donc à la Russie. Une réponse qui était quelque peu attendue. "C’est une forme d’incohérence puisqu’on sait que la situation sanitaire est loin d’être recommandable en Europe. En général, la perception ici c'est que quand la Russie fait des propositions, c’est balayé d’un revers de la main par les Occidentaux", analyse Igor Delanoë.
Alors que la vaccination devient de plus en plus urgente, les doses se font attendre dans les pays membres de l’Union européenne. Dans cette conjoncture, faire passer les enjeux politiques avant ceux de santé semble dangereux. "On voit bien que l’on manque de vaccins dans tous les pays membres de l’UE. On ne peut pas dire qu’il y ait un trop plein de vaccin. Ce sont des motifs de géopolitiques qui l’emportent sur des motifs de santé publique. L'état des relations est très mauvais, ce qui fait que l’UE a voulu priver la Russie d’un succès d’estime", conclut Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
Pour l’heure l’Agence européenne du médicament planche encore sur le vaccin Spoutnik-V. Les autorités russes ont assuré pouvoir en fournir à 50 millions d’Européens au mois de juin.
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