Cette émission est découpée en deux temps : Frédéric Mounier aborde l'histoire de la consommation en France avec Jean-Claude Daumas, où il est question de l’évolution du niveau de vie et de celle des inégalités sociales ; dans un second temps, Gaël Nofri dresse une typologie des révolutions qui ont agité le pays depuis 1789.
Jean-Claude Daumas revient sur une observation de Jules Michelet, qui notait la diffusion des étoffes de coton parmi les ouvriers. C’est là le signe d’une démocratisation des vêtements, mais aussi d’une transformation des rapports de classe : les ouvriers ne sont plus vêtus de guenilles et accèdent à une certaine dignité. Le vêtement remplace la fripe, pour la première fois, les ouvriers ont des vêtements neufs.
Cependant, la démocratisation de la consommation bute sur une insuffisance des revenus. Les salaires des ouvriers sont toujours minimes. Les travailleurs sont, pour beaucoup, sujets à des journées de chômage technique, notamment dans le textile. À l’opposé, les typographes ou encore les ouvriers des usines de gaz disposent d’une paie assez conséquente, qui les rapproche de la petite bourgeoisie.
Jean-Claude Daumas écrit de la période des Trente Glorieuses : « La course à la consommation a valeur de plébiscite, elle associe croissance, consommation, bien-être et réduction des distances sociales, la recherche de la jouissance immédiate et l’identification du bien-être à l’accumulation des choses ». Mais ce rêve est resté tel : les inégalités sont toujours vive, l’homogénéisation est une illusion.
Les Trente Glorieuses marquent l’expansion de la consommation. Tout le monde en profite, excepté quelque 5 millions de Français représentant les 17% les plus pauvres. Toutefois, il ne faut pas négliger que les différents groupes sociaux ne consomment pas de façon semblable. Prenons l’exemple de l’automobile : si, en 1981, 70% des Français possèdent une voiture, les cadres ont des voitures haut de gamme alors que les ouvriers privilégient les voitures populaires, d’occasion.
À l’époque, les classes populaires et petites classes moyennes nourrissaient l’espoir de rattraper les niveaux de vie plus élevés. Au début des années 1970, il fallait 36 ans à un ouvrier pour rattraper le niveau de consommation d’un cadre. Aujourd’hui, il faudrait 165 ans à ce même ouvrier…
On remarque donc une profonde inquiétude des classes populaires face à un avenir dans lequel elles ne peuvent plus se projeter. Avec des questions centrales, comme celle du logement. Dans les quinze dernières années, pour les 10% de ménages aux revenus les plus bas, la part du budget consacrée au logement s’est alourdie, passant de 31 à 42%. Pour les cadres, cette part passe de 10 à 11%...
François Ernenwein rappelle que « la question des inégalités est devenue le cœur de la revendication des gilets jaunes ». Une fois les aspects conjoncturels mis de côté, deux aspects majeurs ressortent : premièrement, le droit à la parole, ensuite, une revendication matérielle.
"La France est un peu un moteur à explosion", explique Gaël Nofri. La révolution naît d’une incapacité de réformer. Elle naît du constat que le contrat entre gouvernant et gouverné est dénaturé. Le pouvoir ne perçoit pas les signes extérieurs. Par exemple, Charles X en 1830 n’a pas réalisé qu’après la Révolution Française, la société ne sera plus la même, les rapports de force non plus.
Toute révolution correspond à une violation de la légalité. "Si la réforme est impossible, réforme au sens de changement du système par lui-même dans le respect de ses propres règles, alors on aboutit à une révolution." Ceux qui veulent ce changement sont l’expression d’une minorité. Une grande majorité de la population est plus spectatrice qu’actrice. Le désordre n’obtient que rarement l’assentiment du peuple.
François Ernenwein soumet une seconde hypothèse, au-delà de la rupture d’un contrat social par le pouvoir. La rupture, ici, ne s’est-elle pas produite justement par un pouvoir qui déstabilise à cause de la montée en puissance de l’ultra-libéralisme ?
Pour Gaël Nofri, le thème de la consommation se noie dans le magma des revendications. On voit bien là, dans ce mouvement, une addition des thématiques : Europe, immigration, retraites, agriculteurs en colère, RIC… Plus qu’une révolution, c’est la fin d’un système de pensée né de 1968. Le système d’individu-roi rend la démocratie malade.
On assiste à une perte du sens du commun. Comment faire vivre des institutions quand le commun a disparu ? Gaël Nofri fait un parallèle avec la révolution du 6 février 1934, où divers groupes se réunissent contre la Troisième République, au cri de "ce régime n’est pas digne de nous".
Les révolutions finissent toujours par essayer de durer dans le temps. La population, sortie de son niveau de spectatrice et devenue actrice, n’a pas envie de retourner à la légalité. On rappelle ici le boucher parisien Caboche qui fait régner la terreur dans Paris, ou encore le Comité de salut public… Alors, le pouvoir essaie de renvoyer chez eux les révolutionnaires.
L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.
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