extraits de "risquer de vivre" d'Irène Devos
Cette entreprise n’a pas été de tout repos. Elle a engendré des questions quant au positionnement de Sœur Irène dans sa congrégation religieuse et dans sa vie professionnelle. Elle s’en explique :
(p.72-75) « Il a fallu du temps pour faire comprendre ce que pouvait devenir Magdala, avec un lieu de vie communautaire. Pour faire comprendre que je ne quittais pas ma congrégation, mais que je faisais écho à ce désir impérieux de servir les plus pauvres. Je crois que le Christ ne peut pas se passer du cri de l'homme : il me fallait laisser surgir mon désir. Et recevoir cet appel : vivre avec les pauvres, il y va de l'honneur de Dieu. Dans la prière, ma réponse a jailli : « sur ta parole, je me lance. »
Ensemble, avec les jeunes enthousiastes, nous pouvions envisager de faire une place sous notre toit commun aux personnes sans-abri. Mais la création d'une fraternité de laïcs, si elle ne dépendait pas de ma congrégation, ne devait pas pour autant me couper de ma communauté. Ça ne s'est pas passé facilement, mais je sentais qu'il fallait risquer. C'est une étape importante pour la vie religieuse de demain, ce le fut dans ma vie.
Si des laïcs veulent s'engager dans la mission qui est celle de l’attention aux plus petits, le passage obligé ne sera pas nécessairement la vie religieuse. Il nous faut diversifier les formes d'engagement : à Magdala, il y a des personnes associées à la mission de la communauté, bénévoles, ou qui travaillent à l'extérieur à mi-temps, et qui donnent un temps à la communauté…
Les congrégations, je le crois profondément, sont appelées à être davantage des ferments d'inventivité d'autres types d'engagements, des lieux d'appel.
À plusieurs, nous avons donc décidé de vivre sous le même toit avec des gens qui venaient de la rue, de la prison, de l'hôpital par la suite. Avec ceux qui trouvaient enfin un domicile, il y avait alors tout un chemin à parcourir, toute une mission d'éducation à mettre en œuvre. Pour eux qui passaient leur existence à survivre, à se battre contre le froid, contre les autres, pour trouver de quoi manger, de quoi se vêtir, il fallait réapprendre à manger à heure régulière, à se lever, à laver le linge, à faire la cuisine, la vaisselle… Tous ces gestes quotidiens dont ils sont privés une fois jetés à la rue. »
Soeur Irène partage dans son livre le travail d'humanisation, ce travail qui permet à toute personne humaine de vivre dignement, devenu le point central de la vie de Sœur Irène ! Mais il ne s’agit pas de faire pour les pauvres, mais de faire avec eux ! et un des chapitres du livre de Soeur Irène porte le titre : « les pauvres nous évangélisent », ce qu'elle développe :
p.103 : « La bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Dès les premiers instants, dès sa venue sur la terre, Jésus s'adresse aux personnes pauvres – peut-être sont-elles plus à même de le recevoir, je ne sais pas. En tout cas, c'est une réalité : ce sont bien les bergers qui sont les premiers invités à la crèche. À cause de leur travail de bergers, ils ne sont pas très pratiquants. Ce sont les hommes les plus rejetés, les plus exclus de la société au temps de Jésus. C'est véritablement central dans notre foi. Peut-être pas suffisamment, d'ailleurs, dans la manière dont nous vivons, mais le cœur du message chrétien est bien là : la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ! »
p.100-101 : « À Magdala, nous proposons régulièrement des retraites. C'est extraordinaire de voir comment Dieu se révèle ! C'est d'ailleurs notre responsabilité : quand Jésus dit "la bonne nouvelle est annoncé aux pauvres", il faut se donner les moyens, aujourd'hui, de cette annonce. Jésus est venu pour cela, et nous, nous avons reçu cette bonne nouvelle qui fait vivre. Il nous est donné maintenant de la partager aussi avec les hommes, les femmes les plus pauvres, pour qu'ils entendent, et aussi et avant tout pour que nous puissions la recevoir d'eux. Autrement, cette parole ne peut ne peut pas prendre chair… Jésus, alors, serait-il venu pour rien ? »
Le Père Behaegel repense alors à la phrase-clef du rassemblement Diaconia 2013 à Lourdes : « personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager, personne n’est trop riche pour n’avoir rien à recevoir », ce que Sœur Irène exprime avec ses mots :
P.110-111 : « Et les pauvres ne sont pas les derniers de la famille de Dieu. Ils ont toute leur place. J'en suis témoin, les pauvres nous évangélisent. Si nous allons à la rencontre des plus démunis, ce n'est pas seulement et d'abord pour leur donner quelque chose, leur apporter notre aide, notre sympathie. Il n'y aurait plus d'authenticité si nous abordions l'autre sans nous ouvrir nous-mêmes à ce qu'il nous donne. Pour qu’il y ait une vraie relation, il est vital qu'il puisse y avoir échange : et chacun, alors, se trouve dans son égale dignité. »
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