"France-Afrique". Le premier à avoir utilisé cette expression est Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), l'ancien président de la Côte d'Ivoire. Le terme prenait alors une connotation positive pour désigner la poursuite des relations politiques et économiques entre la France et ses anciennes colonies. Puis, avec François-Xavier Verschave (1945-2005), le fondateur de l'association Survie et auteur en 1998 de "La Françafrique, le plus long scandale de la République", l'expression est devenue le mot "Françafrique" et a pris une connotation péjorative, désormais synonyme "d'affairisme", de "très politique" et de "scandales", explique Pascal Airault. Le terme désigne "l'immixtion française dans le devenir des pays d'Afrique" après leur indépendance.
Où en est-on aujourd'hui de cette Françafrique que d'aucuns ont nommé "France à fric" ? Cette histoire entre la France et certains pays d'Afrique se poursuit-elle ? Sous quelle forme ? Par exemple, faut-il comprendre les élections au Cameroun qui viennent d'avoir lieu à l'aune de débuts de son indépendance et du rôle particulier joué par la France ?
Le 14 décembre 1965, le général De Gaulle a prononcé cette phrase restée célèbre : "Il faut prendre les choses comme elles sont car on ne fait de politique autrement que sur des réalités." Un "réalisme" au nom du quel "on a été complètement irréalistes". Dans "Au nom de la France ?" (éd. Cerf), Laurent Larcher écrit : "La défense de ses intérêts oblige la France à se lier aussi avec des autocrates, des dictateurs, des incapables notoires, des illuminés et des criminels."
Le journaliste de La Croix ajoute : "Les pays dirigés par ces despotes ne sont pas une sinécure pour leurs populations, c'est l'une des raisons pour lesquelles des millions de personnes choisissent l'exil, c'est aussi l'une des raisons pour lesquelles le terrorisme islamiste ne fait que croître. La mal gouvernance constitue un formidable agent de recrutement pour les djihadistes."
Prenant l'exemple du génocide rwandais, Laurent Larcher parle de "naufrage de la politique extérieure française" et affirme : "La question elle est là : au nom de notre intérêt supérieur, dans les années 90 nous avons permis à un régime génocidaire de se maintenir au pouvoir et du coup de commettre ce génocide. Et non seulement nous l'avons permis, mais nous avions les moyens d'interrompre ce génocide dès le début, nous ne l'avons pas fait parce que nous étions incapables de voir que les bourreaux étaient nos amis." Un génocide qui, faut-il le rappeler, a fait entre 800.000 et un million de morts.
Le 10 novembre 1959, dans une conférence de presse, le général De Gaulle posait les bases de ce qui allait devenir la France-Afrique. Il évoquait "la mission humaine" de la France et expliquait que la France allait continuer à fournir l'aide que souhaitaient les pays africains. Dans "Au nom de la France ? Les non-dits de notre diplomatie" (éd. Cerf), Pascal Airault et Jean-Pierre Bat montrent les aspects troubles de cette aide. Ils lèvent le voile sur de nombreux scandales franco-africains, à partir d'archives, d'investigations et de témoignages inédits, suivant le fil de 26 enquêtes inabouties. Ainsi, à côté d'une aide fournie notamment "via le ministère de la Coopération", la France a continué "à jouer de son influence pour peser sur les destins de ces pays", nous dit Pascal Airault.
À d'autres échelles, et sur d'autres terrains, pour la défense de l'intérêt national, "rien ne change" selon Laurent Larcher. Il a suivi plusieurs ministres des Affaires étrangèes - Bernard Kouchner, Michèle Alliot-Marie, Alain Juppé, Laurent Fabius, Jean-Marc Ayrault et Jean-Yves Le Drian - pour constater que "le primat des intérêts économiques de la France s'impose toujours".
La conception de notre intérêt supérieur est "clairement l'intérêt économique". "Au nom de cet intérêt on met de côté les valeurs qui fondent notre pacte républicain." Droits de l'homme, liberté, fraternité... "La France, patrie des droits de l'homme, dès qu'elle le peut oublie les droits de l'homme pour ses intérêts économiques."
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