Les évêques de France sont réunis à Lourdes en assemblée plénière, du 4 au 9 novembre 2016. La journée du lundi 7 novembre a été marquée par le jeûne et la prière pour les victimes d'actes pédophiles dans l'Eglise.
Et à moins de six mois des élections présidentielles, les évêques ont aussi débattu de la situation politique, sociétale et religieuse en France. Une société française fracturée, selon les évêques, par le chômage de masse, la peur du déclassement, l'insécurité culturelle, les violences de toutes sortes. Un constat formulé dans un texte publié mi-octobre 2016, 'Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique'. Et pour les évêques, le sens du politique devrait être: vers le bien commun.
Désireux de prendre part aux débats qui traversent la société, les évêques ont écouté ce lundi l'intervention de Philippe Portier, sociologue, sur le thème 'Société et religion dans la France contemporaine' (lire l'extrait ci-dessous). Le sociologue dresse le portrait d'un Etat post-moderne à l'épreuve du libéralisme et du triomphe de la subjectivité. 'Sommes-nous encore attachés à cette notion d'un bien commun qui viendrait subsumer nos droits individuels?'
A l'heure du libéralisme et du triomphe de la subjectivité, donc, la précarité, quand elle survient, engendre 'un sentiment d'injustice et un ressentiment contre la société', selon les mots de Mgr Pascal Delannoy. 'Quand nous voyons dans nos banlieues, dans certaines cités, 30 / 40% de jeunes qui ont moins de 25 ans et qui sont aujourd'hui au chômage, c'est évidemment dramatique sur un plan économique, mais c'est surtout dramatique au niveau des personnes, car nous disons à toute une génération que la société finalement n'attend rien d'eux et que nous n'avons pas besoin d'eux.'
Forts de ce constat, ce vers quoi les évêques de France désirent orienter le débat, c'est la notion de bien commun - sur laquelle insiste aussi la doctrine sociale de l'Eglise. La notion diffère de l'idée d'intérêt général, qui est la somme des intérêts particuliers. Le bien commun 'fait passer les intérêts particuliers au second plan par rapport à ce qui apparaît nécessaire pour une collectivité humaine', précise Mgr Jean-Pierre Batut. Ainsi, dans quelle mesure des revendications 'catégorielles ou individuelles' peuvent-elles être 'relativisées' au profit de ce qui contribue à une construction commune?
'L'Etat d'hier - il suffit de lire les textes d'un De Gaulle et avant lui les textes des grands républicains de la IIIè République - vivait dans un ethos de la République englobante. Cette idée que les droits individuels doivent toujours être subsumés sous le grand concept du service public, de l'intérêt général ou du bien commun. Une notion que l'on trouve, par exemple, dans les textes catholiques mais que l'on trouve aussi, assez curieusement, de manière mimétique, dans les textes des pères fondateurs de la IIIè République.
Sommes-nous encore attachés à cette notion d'un bien commun qui viendrait subsumer nos droits individuels? Ici, une formule, que j'emprunte au philosophe allemand Jürgen Habermas: 'Nous sommes désormais dans le temps des droits individuels et nous nous servons de nos droits individuels comme s'ils étaient des armes.' La remarque est peut-être excessive, elle signale en tout cas qu'à l'horizon de généralités dans lequel nous nous inscrivions dans l'Etat moderne s'est substitué un horizon de la particularité, où nous-mêmes nous sommes portés d'abord par l'idée de préserver les droits que nous détiendrions en propre, et où l'Etat n'est plus rien d'autre au fond, le plus souvent, que l'organisateur de la coexistence de nos libertés individuelles, de nos droit personnels, sans nécessairement les inscrire dans l'horizon de généralités qu'avaient dessinées les générations politiques antérieures.
Le pouvoir comme organisateur de la coexistences des droits et non plus comme producteur d'un intérêt commun qui viendrait les subsumer: on comprend du coup que cet Etat-là, privé de sa souverainté antérieure, que cet Etat-là, porté désormais par le seul souci de défendre les droits individuels des uns et des autres, soit dans la situation d'être impotent, tout à la fois matériellement et symboliquement pour résoudre les grands défis de notre temps.'
Philippe Portier, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des laïcités, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, directeur du Groupe Sociétés, religions, laïcités (EPHE-CNRS).
Emission enregistrée dans les studios de Radio Présence (Lourdes)
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