"Ils l'ont élu tyran de cette ville débonnaire et infortunée" écrit un poète présocratique. Cette ville "débonnaire car elle s'est laissée avoir par un tyran et infortunée car elle allait avoir un tyran", comme l'explique Chantal Delsol, doit être pour nous l'allégorie de ce qui pourrait bien nous arriver. À quelques jours des élections européennes, il est donc nécessaire de réfléchir à l’idée de démocratie. Ce que nous pouvons faire avec l'aide de l'ouvrage "La démocratie dans l'adversité" (éd. Cerf), dont Chantal Desol et Giulio De Ligio ont dirigé la publication.
On dit la démocratique fatiguée et contestée, bref, en crise. Est-ce le fait de citoyens qui n'assument suffisamment leurs responsabilités, et qui par exemple négligent le vote ? Oui mais le vote ne suffit pas à définir la démocratie, prévient Chantal Delsol, il peut même "provoquer la tyrannie".
Faut-il imputer la crise aux élus trop prompts à céder à leurs ambitions personnelles ? À l'heure d'internet, de l'économie mondialisée et de l'ultra libéralisme, les raisons de cette crise sont multiples.
Reste que si nous ne vivons plus à l’heure des totalitarismes, la vigilance s’impose. Hongrie, Autriche, Pologne... dans de nombreux pays d'Europe ressurgissent la tentation des régimes autoritaires conservateurs et des différentes formes de populismes.
C'est à se demander pourquoi on y a cru, à cet idéal démocratique. "À cause des deux guerres mondiales, surtout la Seconde", répond sans hésiter Chantal Delsol. "On a voulu réinstaurer la démocratie d'une façon qu'on a voulue définitive."
Synonyme de paix et liberté, la démocratie s'est installée sur "une ambiguïté" selon le diagnostic de Giulio De Ligio. La démocratie s'est "affirmée négativement" comme "le dernier régime après tous ceux qu'on avait vécus". Le régime qui permet "d'éviter le passé". "Après coup on a découvert que le fait d'éviter les années 30 ne suffit pas à déterminer le sens de notre vie commune."
"La démocratie a été dévoyée par sa radicalisation idéologique", écrit Chantal Delsol dans son ouvrage. Signifiant par là qu'après la chute du mur de Berlin, en 1989, "on s'est imaginé que la démocratie pourrait devenir la nouvelle idéologie après le communisme". De nouveaux lendemains qui chantent, en quelque sorte. "Il y avait un problème d'interprétation de la victoire démocratique", conclut Giulio De Ligio, qui identifie les années 90 comme "un grand moment d'aveuglement".
Ce n'est pas seulement du communisme qu'il fallait se débarrasser après la chute du mur, pour Chantal Delsol, "il fallait se débarrasser de l'idéologie elle-même, qu'elle soit communiste ou autre chose, du mode de pensée idéologique, que l'histoire avait une fin et que nous autres humains on pouvait aboutir à quelque chose de parfait".
Pour qu'une démocratie fonctionne, il faut accepter qu'elle soit imparfaite, "accepter qu'elle soit un régime politique". Et dans la notion de "régime politique", dit le philosophe, "il y a toute l'ambivalence de la condition humaine". Dans "L'Esprit des lois" (1748), Montesquieu écrit : "le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité."
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