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A Paris, quand la fraternité aide à sortir de la rue

RCF,  - Modifié le 17 juillet 2023
A Paris, des paroisses s'engagent pour accompagner des sans-abri, à travers l'opération Hiver solidaire et via des bagageries. Témoignages croisés de personnes accueillies et de bénévoles.
Pascal Gauthier, RCFPascal Gauthier, RCF

En France, près de 4 millions de personnes sont mal-logées et parmi elles 900 000 n’ont pas de logement personnel. Sur ces 900 000, les deux-tiers sont hébergés par quelqu’un, 200 000 vivent dans des habitations de fortunes ou à l’hôtel et 143 000 n’ont pas de logement du tout et vivent à la rue. Ce sont les chiffres du rapport 2018 de la Fondation Abbé Pierre.

Derrière les chiffres il y a des gens qui vivent concrètement ces réalités du mal logement ou du non-logement. Justin, Vincent, Mohamed, Franck, Paul ou Eric sont de ceux-là. Ils ont vécu ou vivent encore à la rue. Ils témoignent de l'inhumanité de cette vie, mais ils racontent aussi leur rencontre avec Jean, Isabelle, Pierre, Constance, Bruno, François et les autres bénévoles de l'opération Hiver solidaire et des bagageries Antigel et Saint-François-Xavier. 
 

 

 

Poser ses sacs en toute confiance pour pouvoir avancer

Le principe des bagageries est de permettre à des personnes qui vivent à la rue de mettre leurs affaires à l'abri, dans des casiers. La première bagagerie de ce type, "Mains libres", est née à Paris en 2007 dans le quartier des Halles. Antigel a été créée en 2010 et la bagagerie Saint-François Xavier vient de naître en mai 2018. Elles sont pour les usagers comme une vraie bouffée d'oxygène ainsi que l'explique Mohamed : "Quand on est à la rue, notre sac c'est notre vie. En le laissant à la bagagerie, on confie notre vie, c'est tout ce qui nous reste et c'est tout ce qu'on a. En sachant que mes affaires, mes papiers sont à l'abri, je peux dormir sur mes deux oreilles et je suis plus à l'aise, je sais que je les retrouverai le lendemain matin. Je suis plus serein. Avec un sac, pour aller se présenter pour un travail, ce n'est pas évident. J'ai vraiment été soulagé".

Usager d'antigel depuis octobre 2017, Justin explique quant à lui: "le fait d'avoir cet espace où je peux entreposer mes affaires en toute sécurité m'a permis d'entreprendre des démarches pour m'insérer socialement. C'est aussi un lieu où on crée des liens et ça nous permet aussi d'oublier un peu notre qotidien difficile et de croire en l'avenir. Avant je me faisais voler mes affaires régulièrement." 

Pierre, président de la bagagerie Antigel explique: "c'est d'abord venu du souhait des personnes qui étaient à la rue ou en situation précaire d'avoir un endroit où laisser leurs bagages en sécurité. Et très vite, le besoin qui s'est exprimé, c'est aussi d'avoir un endroit où se poser, s'asseoir, prendre un café, renouer le dialogue avec d'autres personnes". Les bagageries ouvertes matin et soir pendant 2 heures, à Antigel 365 jours par an et à Saint François Xavier 3 jours par semaine pour l'instant. Chacun peut venir prendre les affaires dont il a besoin, se changer, faire sa toilette, et aussi "s'asseoir avec les autres usagers et les bénévoles, prendre un café et renouer le contact avec d'autres, ne plus être dans la solitude".

Justin, Mohamed et tous les usagers saluent l'engagement des bénévoles qui font vivre ces bagageries. Certains se lèvent à 5h30 pour arriver pour tenir la permanence à 6h45. Mais "on reçoit comme bénévole plus qu'on ne donne" affirmer l'un d'entre eux. 
 

 

Hiver solidaire: bien plus qu'un abri contre le froid de l'hiver

Si la paroisse Saint François Xavier a souhaité installer une bagagerie dans un local paroissial sous l'église, c'est parce que cela a paru nécessaire en complément de l'opération Hiver solidaire à laquelle participe la paroisse depuis 10 ans. Offrir un lit dans un lieu chauffé, un dîner et un petit déjeuner pendant les trois mois d'hiver, et surtout permettre la rencontre entre ceux qui ont un toit et ceux qui n’en ont pas: ce sont les objectifs d'Hiver solidaire, opération lancée par le diocèse de Paris à l'hiver 2009-2010 et à laquelle participent en cette année 2018-2019 36 paroisses parisiennes. 

"Au début, il s'agissait d'abriter les gens par grand froid, puis on est passé de l'abri à l'accueil et ensuite à l'accompagnement" explique Jean Chevalier, responsable de l'opération à la paroisse St François Xavier. Et cet accompagnement porte des fruits: "l'an dernier, 90% des gens d'Hiver solidaire ont été hébergés par les services sociaux à l'issue de l'hiver".  Chaque soir, vers 18 heures, les personnes accueillies arrivent et installent leurs lits dans des salles paroissiales utilisées la journée pour des réunions. Ils prennent ensemble un repas préparé par une bénévole qui dîne avec eux. Un autre bénévole "l'homme de nuit", partage aussi le repas. Des conversations s'engagent, des liens se créent, l'isolement est rompu. 

Paul fait partie des 6 personnes accueillies cette année par la paroisse St François Xavier dans le cadre d'Hiver solidaire et témoigne ainsi de cette expérience: "J'ai été très surpris les premiers temps de constater la chaleur de l'accueil, cette atmosphère familiale qui nous entoure, cette empathie qui nous est témoignée. Je ne pensais pas que des lieux d'accueil comme ça pouvaient exister. J'ai passé l'hiver dernier dehors et là, comparativement, c'est paradisiaque. C'est un marchepied pour aller plus loin, pour rebondir. Ca permet de se réapproprier soi-même : c'est prendre conscience de soi, parce que quand on est à la rue on commence à décrocher. Au fur et à mesure des mois qui passent, on est de moins en moins assuré de soi. Faire cette expérience d'Hiver solidaire permet déjà de se reposer et ensuite de pouvoir penser à ce que l'on va faire pour rebondir et se remettre dans la vie des normes".
 

Accueilli à la paroisse St François Xavier pendant l'hiver 2017-2018, Eric témoigne avec force de cette aventure qui le marque à vie et au cours de laquelle il a fait l'expérience de la fidélité de l'engagement des bénévoles: "je veux remercier tous les bénévoles qui nous ont accueillis et qui continuent à s'investir jour après jour. Pour moi ces bénévoles sont des anges incarnés. Mon histoire: je galérais dans le 12ème, je dormais dans une cave sans eau, sans électricité... Quand je suis arrivé à Hiver Solidaire, ce qui m'a surpris c'est de voir toutes ces personnes qui sont ensemble et qui ont toutes le même but : nous aider, sans contrepartie. J'ai vu des accueillis manquer de respect aux bénévoles parce qu'ils étaient dans un état d'alcolémie ou de détresse psychologique et ces gens-là n'ont jamais de rancune. Et puis ce n'est pas qu'un accueil d'urgence pendant l'hiver : dès l'instant où vous rentrez dans cette association, où vous êtes pris dans les filets de ces gens avec des bonnes intentions, ils vous suivent jusqu'au bout. Moi, j'ai fait une grosse bêtise qui m'a conduit en prison. Les premiers jours de détention je me suis dit: ils m'ont beaucoup aidé avant et je pense que là ça y est c'est terminé. Mais en fait j'ai eu la bonne surprise d'être soutenu au quotidien, financièrement et ils sont venus me voir aussi au parloir, etc, donc pour moi ça a été énorme. C'est grâce à eux si j'ai réussi à garder la tête haute et à sortir la tête de l'eau même pendant ma détention. j'ai reçu énormément de lettres des bénévoles... Donc ce n'est pas qu'un accueil pendant trois mois, pendant l'hiver, c'est vraiment tout un suivi derrière. Et ce n'est pas qu'administratif (...) moi je les considère comme ma famille. Je tiens aussi à souligner, même si ce n'est pas trop mon style, que le point commun que ces gens ont c'est l'Eglise donc il faut aussi remercier l'Eglise de fédérer tout ça et de générer cet élan de bont et d'amour". 

Photos : Pascal Gauthier 

 

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