Quand on passe en revue, sur 150 ans, les artistes ayant vécu en couple, on voit apparaître plusieurs cas de figure. Il y a des cas douloureux voire tragiques. Camille Claudel et Auguste Rodin, Picasso et Dora Maar, Frida Kahlo et Diego Rivera où les femmes ont beaucoup souffert de la domination masculine. Il y a des couples qui ont créé une œuvre commune, indissociable : Christo et Jeanne-Claude, Anne et Patrick Poirier, Claude et François-Xavier Lalanne. Parfois, chacun a mené son propre travail, indépendamment de l’autre, comme Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle.
Le cas que je vais évoquer aujourd’hui est celui deux artistes qui ont vécu cinquante ans de vie conjugale, qui ont travaillé sur des registres très proches mais qui n’ont jamais réalisé ensemble une seule œuvre. Il s’agit donc d’Anni et Josef Albers auxquels le Musée d’art moderne de Paris consacre une passionnante exposition qui dure jusqu’au 9 janvier prochain. S’agissant d’Anni Albers, il s’agit d’une véritable découverte car, contrairement à celle de son mari, son œuvre était jusqu’ici peu considérée.
Cela a quelque chose à voir avec le fait qu’elle était une femme. Anni et Josef Albers qui sont nés en Allemagne à la fin du XIXe siècle se sont rencontrés dans les années 1920 au Bauhaus, cette célèbre école d’art qui a chamboulé plusieurs disciplines : l’architecture, la peinture, les arts décoratifs. Mais si le Bauhaus était à l’avant-garde dans le domaine des arts, il ne l’était pas s’agissant de l’égalité homme-femme. Les étudiantes étaient dirigées systématiquement vers l’atelier consacré au textile, laissant aux hommes les modes d’expression réputés plus nobles.
Anni fut donc une tisserande, tandis que son futur mari, Josef, travaillait lui sur le vitrail, le mobilier, la photographie, la peinture. De cette forme de discrimination, Anni Albers a su tirer le meilleur parti en créant des tissus d’une magnifique inventivité, mêlant la laine, le lin, le coton, la soie mais aussi le chanvre, le crin ou les fils métalliques.
Tout simplement chronologiquement, la période Bauhaus, puis les États-Unis où Anni et Josef ont émigré pour fuir le nazisme. Les salles présentent en parallèle leurs travaux. Ce qui permet d’observer ce qu’ils ont en commun. La recherche géométrique ou l’exploration des couleurs. Mais aussi toutes les différences. Anni joue avec les matières créant des objets chauds. Josef lui mène des recherches plus abstraites, comme sa célèbre série Hommage au carré pour laquelle il a réalisé plus de 2000 tableaux en 25 ans. Sur chaque panneau, il y a juste quatre formats de carrés emboîtés les uns dans les autres, déclinés dans une infinité de couleurs.
Pour conclure, il y a une chose à ne pas manquer dans cette exposition : six panneaux tissés par Anni Albers en mémoire des victimes de la Shoah pour le Jewish Musuem de New York. Six panneaux évoquant les rouleaux de la Torah et l’écriture hébraïque. C’est une œuvre à la fois très sobre et profondément poignante.
Du 10 septembre 2021 au 09 janvier 2022
Musée d'Art Moderne de Paris
11 avenue du Président Wilson 75116 Paris
www.mam.paris.fr
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