Simone Weil est celle que cite le président Macron, celle à qui les cahiers de L'Herne ont consacré un numéro en 2014. A-t-elle vraiment aujourd'hui des choses importantes à dire ? "Indéniablement", répond Pascal David. Le philosophe et dominicain est de ceux qui l'étudient avec passion. Il a accompagné la publication de ses textes en deux volumes : "Désarroi de notre temps et autres fragments sur la guerre" en 2016 et "Luttons-nous pour la justice ? Manuel d'action politique" l'année suivante (éd. Peuple Libre).
Que pouvons-nous faire pour penser notre situation ? C'est pour répondre à cette question après les attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan, que Pascal David a eu recours à Simone Weil. "Ce que dit Simone Weil dans les années 1938-1939, de la crise qui traverse l'Europe dans ces années-là, dit quelque chose de la crise au moins aussi profonde que nous sommes en train de traverser."
"Désarroi de notre temps et autres fragments sur la guerre" est un recueil de textes que Simone Weil écrit en 1939 alors qu'elle sent que la guerre vient, mais dont elle ne sait pas quelle forme celle-ci aura. La philosophe sait cependant que l'Europe fait face à "une idéologie de la force, prête à exercer sa force au détriment des populations civiles". Pour Pascal David, "cette situation n'est pas sans rapport avec la nôtre".
"Notre époque n'est pas la première dans l'histoire où le sentiment dominant soit le désarroi, l'anxiété, l'attente d'on ne sait quoi, et où les hommes se croient le douloureux privilège d'être une génération promise à un destin exceptionnel. Cependant, on peut dire sans crainte d'exagérer que l'humanité dans notre petit coin d'Europe qui depuis si longtemps domine le monde, traverse une crise profonde et grave.
Les grandes espérances héritées des trois siècles précédents, et surtout du dernier - espoir d'une diffusion progressive des Lumières, espoir d'un bien-être général, espoir de démocratie, espoir de paix - sont en train de s'effriter à une cadence rapide. Ce ne serait pas là chose tellement grave s'il s'agissait simplement d'une désillusion atteignant certains cercles intellectuels (...) mais nous sommes placés dans des conditons de vie telles que le désarroi touche et corrompt tous les aspects de la vie des hommes, toutes les sources d'activité, d'espérance et de bonheur. La vie privée dans son cours quotidien se détache de moins en moins de la vie publique, et cela dans tous les milieux. (...) Le sentiment de la sécurité est profondément atteint."
Simone Weil, v.1938-1939
Simone Weil était une pacifiste, engagée dans la guerre : ce qui peut sembler paradoxal. Mais on a beau être pacifiste, "nous avons des ennemis parce que des ennemis nous désignent comme leurs propres ennemis, observe Pascal David, ce qui est le cas aujourd'hui, c'est pour ça que nous avons à nous battre, même si nous sommes profondément pacifistes."
Cette fois, c'est pour nous aider à penser l'engagement politique que Pascal David a voulu publier ce second volume de textes de Simone Weil. Il a été pensé tout au long de dernière la campagne présidentielle et se présente comme un guide pratique à l'usage de tous. Simone Weil, pendant les quelques mois qu'elle a passés à Londres, n'a cessé d'écrire. Notamment "L'Enracinement" , resté inachevé et publié après sa mort par Albert Camus en 1949. Et aussi les textes rassemblés dans "Luttons-nous pour la Justice ? Manuel d'action politique" qui jusque là n'étaient plus disponibles.
Ce à quoi invite Simone Weil, c'est à rester dans l'intranquilité de la pensée individuelle, ce qui ne signifie pas le retrait de l'action. Mais Simone Weil a émis une méfiance vis-à-vis des partis politiques, qui pour elle étouffent la pensée individuelle. "Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice", a-t-elle écrit. Méfiance, dès lors que l'on affirme une pensée en tant que : "en tant que communiste, en tant que socialiste et même en tant que catholique : c'est déjà une défaite de la pensée", conclut Pascal David.
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