Alors que la presse unanime, et c’est plutôt rare, faisait de « The zone of interest » de Jonathan Glazer sa palme d’or toute désignée, le jury a pris tout le monde à contre-pied et décerné la récompense suprême à « Anatomie d’une chute » de la cinéaste française, Justine Triet : totalement incompréhensible !
Certes, ce film qui relate le procès d’une femme d’un enfant aveugle accusée du meurtre de son mari, a des qualités humaines incontestables. Mais c’est sans commune mesure avec le film de Jonathan Glazer qui se contente du Grand Prix Cannes.
En évoquant l’horreur de la Shoa sans la montrer depuis le domicile voisin du commandant du camp d’Auschwitz, où le quotidien se déroule comme si de rien n’était, le cinéaste britannique signe un film fort et intelligent. Un film porteur d’un message essentiel à l’heure où l’horreur de la guerre sévit à notre porte et où des crimes contre l’humanité sont à nouveau commis.
« Je ne suis pas déçu de ne pas avoir la palme d’or, a déclaré Jonathan Glazer après la proclamation. L’essentiel c’est que grâce à Cannes, on va parler du film, il va être vu un peu partout. En Israël aussi où je reçois beaucoup de demandes depuis la présentation de mon film ici, à Cannes ».
Une palme féministe ?
Quant à Justine Triet, plutôt que de savourer son succès inattendu, elle s’est lancée dans une déclaration enflammée anti-Macron qui n’avait pas sa place dans ce contexte. « On ne peut pas faire ce métier sans être touché par ce qui se passe dans le monde où nous vivons » a expliqué la cinéaste française pour justifier son coup de gueule sur la scène du Grand Théâtre Lumière.
Faut-il voir dans ce choix du jury une connotation féministe plutôt que les qualités intrinsèques du film ? Justine Triet n’est que la troisième femme à obtenir la Palme d’Or de toute l’histoire du Festival. « C’est le début d’un tournant profond dans le regard que le monde du cinéma porte sur les femmes, commente la lauréate. Je suis très contente de contribuer à cette évolution, les choses changent et c’est très bien ainsi ».
Juste après la proclamation du palmarès, le jury du réalisateur suédois Ruben Östlund a manié la langue de bois. Morceaux choisis : « C’est une question de ressenti ». « Pas facile, tous les films étaient d’un tel niveau ». « On ne va pas révéler le contenu de nos débats ». « Pas d’autre commentaire ». Alors, pourquoi venir en conférence de presse ?
Les autres prix
Le reste du palmarès est bien plus conforme à l’attente, ouf ! A commencer par le prix de la mise en scène remis au réalisateur franco-vietnamien, Tran Anh Hung pour son film « La passion de Dodin bouffant », une descente amoureuse et savoureuse dans la cuisine d’un grand gastronome avec, précisément, une mise en scène de la préparation des plats, supervisée par le chef Claude Gagnaire, remarquable. Comme le cinéaste l’a rappelé, « la cuisine, c’est une question de goût, d’odorat, de toucher, bref tous les ingrédients de l’amour».
D’autres choix du jury peuvent être salués. C’est le cas du prix du jury attribué au Finlandais Aki Kaurismaki pour son film « Les feuilles mortes », une comédie dramatique sur la solitude de deux paumés orphelins de l’amour.
Prix d’interprétation
Et c’est aussi le cas des deux prix d’interprétation. Le prix du meilleur acteur d‘abord : il va au magnifique acteur japonais, Koji Yakusho, fil rouge du film « Perfect Days » de Wim Wenders, une invitation à réfléchir au sens à donner à notre vie à travers le récit d’un homme qui a choisi de se déconnecter de son passé en devenant nettoyeur des toilettes publiques de Tokyo : « Chez moi, je n’ai jamais nettoyé les toilettes, a-t-il expliqué, amusé. J’ai donc dû l’apprendre. A la fin du film, j’étais devenu un expert ! »
Ensuite, le prix de la meilleure actrice est allé à Merve Dizdar, l’actrice des « Herbes sèches » du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan. Elle a aussitôt dédié son prix « aux femmes qui dans le monde entier se battent pour garder l’espoir », à l’instar de son personnage dans ce film.
Quant à Sandra Hüller, l’actrice allemande à qui tout le monde prédisait le prix d’interprétation féminine, elle se consolera certainement en constatant qu’elle était à l’affiche des deux films qui décrochent les deux principales récompenses du Festival : la Palme d’Or de Justine Triet et le Grand Prix Cannes de Jonathan Glazer. Pas mal, en effet !
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