La rentrée scolaire nous y habitue désormais: la parution en masse d'ouvrages alarmants sur l'école, ses dysfonctionnements, ses classes surchargées, son manque de professeurs et de moyens, sa légèreté des programmes. Bref, l'école est en crise, c'est aussi le propos de Robert Redeker. Mais ce qui nous intéresse surtout dans 'L'Ecole fantôme' (éd. DDB) c'est son analyse de la transmission et sa vision des maux de l'école comme symptômes d'une autre crise, beaucoup plus vaste puisqu'il la nomme 'crise de la vie humaine'. Crise d'une société post-moderne qui vit dans l'illusion de la toute-puissance ; mal-être d'une société qui instrumentalise le langage pour ne pas voir que la langue est ce qui ouvre sur l'indicible ; oubli de ce qu'est l'homme, un être qui ne sait pas si on ne lui apprend pas.
Si l’école est un haut lieu d’humanisation alors le problème est en amont. Le philosophe, qui nous explique que face au traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, les Européens n'ont trouvé d'autre moyen que de 'sortir de l'histoire'. Le post-modernisme c'est l'homme exsangue, 'sans passé, sans futur, arc-bouté sur le présent' car on l'a coupé de 'ses racines'.
'La crise de l'école a quelque chose à voir avec l'avancée du transhumanisme.' Parallèlement, Robert Redeker diagnostique une 'éducation qui refuse de donner aux jeunes générations ce que à quoi on peut estimer qu'elles ont droit': leur passé. Au temps du tabou de la mort, le passé est ce qui vient dire à l'homme qu'il est mortel. Exit l'homme fragile, l'homme tragique, l'instant est au 'transhumanisme', à la toute-puissance qui n'a que faire du legs des générations précédentes. Nos ancêtres nous rappellent les limites et la finitude.
'Que serait la France sans la littérature? Rien du tout!' Pour Robert Redeker, si la littérature 'doit avoir la place centrale dans l'école, avec l'histoire', c'est que la langue 'permet de nous rendre compte que nous avons une âme'. Aujourd'hui, selon lui, on apprend à communiquer 'sous l'influence de la linguistique et des théories du langage'. L alangue est envisagée comme un instrument de communication. 'Or la langue donne la poésie, l'au-delà de la communication.'
Certes l'école n'est pas le lieu où 'socialiser' l'enfant, 'l'école doit attacher à l'histoire, aux œuvres, à la culture du pays', pour le philosophe, mais elle y contribue car l'enseignement de la littérature encourage 'la construction et le développement de l'intériorité'. 'Si nous ne savons plus que la langue est l'instrument de l'âme, nous ne pouvons enseigner d'une façon qui permette à chaque enfant de cultiver un monde intérieur, de s'humaniser.'
Depuis une trentaine d'années on demande à nos enseignants d'être au nom du 'vivre ensemble', 'des animateurs socioculturels'. Oubliée, l'assymétrie entre celui qui détient et transmet le savoir et celui qui le reçoit. Or, pour faire entrer les élèves dans 'le pays de la pensée', selon l'expression d'Hannah Arendt, il faut autre chose que 'bienveillance et sympathie'. Contre un autoritarisme benêt, il doit y avoir un juste milieu à trouver. Seulement voilà, on est dans 'l'idéologie du cool, du liquide, du gélatineux'. Comme le dit le sociologue Zygmunt Bauman, notre société est 'liquide', elle n'aime pas la limite.
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