Arnaud Desplechin figure au rang des habitués de Cannes. En 2019, il était encore en sélection officielle avec « Roubaix, une lumière », film qui devait ensuite lui valoir le Bayard d’or du meilleur film à Namur.
Cette année, il poursuit son introspection de la famille avec « Frère et sœur », le récit de la haine que se portent l’un pour l’autre un frère, Melvil Poupaud, et une sœur, Marion Cotillard, la seconde déclarant au premier « Je crois que je te hais » alors que leurs parents sont à l’hôpital, entre la vie et la mort, après un grave accident de la route.
Mais pourquoi tant de haine entre eux ? Chacun connaît un franc succès dans sa carrière, lui d’écrivain, elle de comédienne de théâtre. En ressentent-ils une sorte de jalousie respective ? Mystère. C’est que Desplechin exclut le spectateur de toute explication, le privant de l’indispensable décodeur pour appréhender les ressentiments des deux protagonistes. Fait devenu rare à Cannes, la fin de la projection de presse vendredi soir a été ponctuée de quelques sifflets ! On ne clouera pourtant pas le film au pilori de la critique, on en retiendra plutôt l’interprétation toute en douceur d’un Patrick Timsit en total contre-emploi dans le rôle du psychiatre ami de la famille qui tente de sauver la fratrie.
Et on retiendra de préférence en cette fin de première semaine du Festival la projection ce samedi à La Quinzaine des Réalisateurs du film « Revoir Paris » de Alice Winocour. Tourné pendant le procès des attentats de Paris du 13 novembre 2015, le film suit le parcours de Mia, une interprète rescapée d’un attentat dans une brasserie parisienne. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours normal de sa vie et qu’elle ne se souvient des faits que par bribes, elle décide d’enquêter dans sa mémoire, avec l’aide d’une association de victimes, pour retrouver le chemin d’un bonheur qu’elle espère toujours possible.
La réalisatrice française Alice Winocour, présente lors de la projection, explique que l’idée du film lui est venue des textos que son frère, rescapé ce soir-là de l’attentat du Bataclan, lui a envoyés une bonne partie de la nuit. Elle a ensuite rencontré d’autres rescapés, écouté leurs témoignages et tenté de les reproduire le plus fidèlement possible.
« Revoir Paris » rembobine ainsi le parcours douloureux des rescapés des attentats de Paris, leur nécessité à se retrouver entre eux pour tenter de reconstituer le déroulement des faits et de se reconstruire sur leurs cicatrices communes. Et ce faisant, le film montre combien l’amour qui peut unir celles et ceux qui ont vécu ces instants de terreur blottis l’un contre l’autre dans les cuisines, les toilettes ou les fonds plafonds de la brasserie, est parfois plus fort que celui des proches qui n’étaient pas sur les lieux de l’attentat.
Le film souligne encore avec beaucoup d’à-propos le sentiment de culpabilité de ces rescapés qui se demandent pourquoi eux s’en sont sortis et pas les autres qui ont perdu la vie ce soir-là.
Dans le rôle de la traductrice traumatisée pour le reste de ses jours, Virginie Efira signe une interprétation totalement habitée, avançant à tâtons dans la reconstruction des faits autant que d’elle-même, tandis que Benoît Magimel, rescapé en revalidation, apporte une touche de légèreté et d’humour bien nécessaire pour survivre dans un tel contexte.
On n’oubliera pas la bande son, élément essentiel de la reconstruction mémorielle des victimes, et la ville de Paris, personnage bien réel du film. La réalisatrice se souvient d’ailleurs que lors du tournage, des passants s’arrêtaient devant la brasserie se demandant, inquiets, ce qu’il se passait : à Paris, il y a bien un avant et un après attentats du 13 novembre 2015.
Au Festival de Cannes, Pierre Germay
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