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Entretien avec Joël Dicker : "Un animal sauvage", entre fiction et réalité

Un article rédigé par Armelle Delmelle - 1RCF Belgique, le 26 mars 2024 - Modifié le 26 mars 2024
Tu m'en liras tantJoël Dicker, Un Animal sauvage

Dans cette nouvelle rencontre de "Tu m’en liras tant", nous vous emmenons faire un braquage à Genève. La situation est tendue de tous les points de vue, pour les braqueurs comme pour la police. Mais comment en est-on arrivé là ? C'est ce que raconte "Un animal sauvage", le nouveau roman de Joël Dicker. Rencontre avec l'auteur.  

Joël DickerJoël Dicker

Comment est-ce qu'on écrit un braquage pour qu'il soit crédible de tous les points de vue ?  

C'est une bonne question parce que je l'ai écrit sans me poser cette question. Je me renseigne, mais je ne m'interroge pas toujours comme auteur, je m'interroge comme lecteur. Qu'est-ce qui est crédible ? Qu'est-ce que j'ai envie de savoir ? Je prends un point de vue très authentique, presque naïf. Je ne me renseigne pas trop car j'ai l'impression que la réalité entrave un peu la fiction. Aujourd'hui, on a accès à tout, et j'aurais pu interroger des policiers ou des anciens braqueurs, mais je n'avais pas envie que la réalité d'un vrai braqueur ou d'un flic vienne entraver ce que moi je voulais raconter.  

Je vais vous donner un exemple plus clair. Le livre se passe à Genève, fin juin 2022, et pour les besoins de l'intrigue, il fait chaud. Les personnages se baignent dans la piscine de l'un d'eux. Je ne suis pas allé vérifier si ce jour-là il faisait beau. Maintenant, peut-être que je me rendrai compte qu'il faisait en fait un temps épouvantable. Mais on s'en fout en fait. Parce qu'on est dans quelque chose de crédible, en principe, fin juin il fait beau et chaud. Cet exemple du temps illustre que je ne veux pas vérifier la réalité car je revendique la liberté de l'écriture et de la fiction. 

 Le braquage se déroule en exactement sept minutes, pourquoi sept minutes ? 

À mon avis, c'est trivial parce que je pense que 5 ça me paraît court et 10 un peu long. C'est venu comme ça, il n'y a pas une explication claire. Peut-être qu'il y a une résonance du chiffre 7, mais ce n'est pas lié à quelque chose de concret pour moi. 

La plupart de vos romans se déroulent aux États-Unis. Ici vous le placez à Genève, votre ville natale. Vous aviez besoin d'un retour à la maison dans votre livre ? 

J'en avais besoin, inconsciemment. J'avais envie de raconter ma vie, la ville où je suis né, où je vis toujours, et de partager cette ville avec mes lecteurs. J'ai passé une grande partie de mes étés de l'âge de 4 à 25 ans dans le Maine, j'ai des cousins aux États-Unis, et j'y vais encore 2 ou 3 fois par an. Quand j'ai voulu vraiment faire de la fiction, j'ai cette idée d'installer l'intrigue loin de chez moi. Les États-Unis étaient un moyen pour moi de me distancier de moi-même et de plonger dans la fiction. Avec ce roman, j'étais heureux de voir que j'étais capable de raconter une fiction dans ma réalité, à Genève. 

 Ce n'est pas trop compliqué de placer une fiction dans sa réalité ? 

C'est hyper compliqué. Dans "La Chambre 622", Genève est un décor, alors que dans "Un animal sauvage", Genève est un personnage du livre. J'ai vraiment essayé de raconter Genève avec son pouls, cette ville particulière qui est à la fois une grande ville par son nom et une petite ville par sa taille. C'est une ville qui entremêle un côté citadin et une nature immédiate. Ici j’ai réussi à inventer des lieux. J'invente une maison, une forêt, même si je sais qu'il n'y a pas de forêt là. J'avais envie d'une forêt et je l'ai mise, et je suis heureux d'avoir passé ce cap. 

Les autres lieux de Genève existent-ils ? 

Oui, le centre-ville existe vraiment. Je cite, entre autres, la rue du Rhône qui est la grande artère de luxe, l'équivalent de l'Avenue Montaigne à Paris. Il y a un équilibre entre des choses qui existent et des éléments fictifs.  

Je pense qu'il faut toujours arriver à trouver un juste milieu entre des choses qui existent, qui sont immédiatement perceptibles pour le lecteur et des choses qui n'existent pas. Par exemple, dans Harry Québert, Harry habite dans une ville qui n'existe pas du tout, qui est inventée de toutes pièces, mais elle se rattache à New York. L'auteur part de New York, ville dont on sait qu'elle existe. 

Vous travaillez sans plan. À quel moment est-ce que l'issue du braquage et du livre vous vient si vous ne savez pas où vous allez ? 

Je travaille sans plan, c'est vrai. Je commence un livre sans savoir ce qu'il va raconter, qui sont les personnages, ou la fin de l'intrigue. J'amène une idée qui en amène une autre, et ainsi de suite. Pour "Un animal sauvage", une succession d'idées m'a amené à celle du braquage. La première page que vous lirez est celle que j'ai écrite en premier. Je découvre l'histoire au même rythme que le lecteur et je la corrige, la peaufine, pour m'assurer que tout fonctionne bien.  

Le mensonge est une sorte de fil rouge dans votre livre. Tous les personnages se mentent les uns aux autres. Est-ce que c'était une nécessité d'en mettre autant ? 

Oui, parce que les personnages trahissent souvent la vérité ou ne se confient pas entièrement. Ils n'osent pas se confier par peur des conséquences de leur aveu. La frontière entre le mensonge, la trahison de la vérité, et le manque de confidence est très fine.  

Le problème commun entre les deux couples qui se font face c’est qu’ils n’osent pas se confier à leur conjoint. Ils ont peur des conséquences de leur aveux, mais c’est l’aveur de qui ils sont vraiment et c’est la grande difficulté. C'est une réflexion sur la nature humaine et les relations. 

Certains de vos personnages essaient de se brider pour être aimés des autres. Est-ce que c'est dans la nature humaine de se brider pour rentrer dans les cases tout en essayant de maîtriser les pulsions ? 

C'est dans la nature humaine, mais c'est aussi imposé par la société dans laquelle on vit. Nous sommes guidés par des pulsions et des rêves, mais souvent, le cadre social et moral nous empêche de les réaliser. Ce cadre est là pour nous protéger, mais parfois, il nous empêche d'être en phase avec nos aspirations. 

Votre livre est publié dans votre propre maison d'édition, Rosie & Wolf. Pouvez-vous nous en dire un mot ? 

Avec plaisir. J'étais édité jusqu'en 2021 par une maison d'édition extraordinaire, les Éditions de Fallois. Bernard de Fallois, m'a découvert, a été l'artisan de tous mes succès. Bernard avait 60 ans de plus que moi et il m'a fait une fois de la peine dans toute sa vie c'est quand il est mort le 2 janvier 2018. Il avait laissé pour volonté que sa maison d’édition ferme, il ne voulait pas que sa maison lui survive. Et donc la maison finalement a fermé. Elle a fermé ses portes définitivement en 2021. J'ai eu l'occasion de faire encore pas deux titres avec eux.  

Je ne voulais pas aller chez un autre éditeur parce que j'aurais l'impression de trahir Bernard. J’ai donc créé ma propre petite maison d’édition à Genève pour lui rendre hommage. Elle s'appelle Rosie et Wolf. Cette maison, elle fait paraître très peu de textes. Elle n’a pas vocation à rajouter d'autres titres sur l'immense marée de titres qui paraissent tous les mois. Mais c'est vraiment l'idée de faire parler des livres très importants. Entretien avec Joël Dicker : "Un animal sauvage", entre fiction et réalité 

Retrouvez l’intégralité de notre entretien avec Joël Dicker dans Tu m’en liras tant sur 1RCF Belgique.  

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