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Hans Hartung, un artiste "libre" à découvrir au Doyenné de Brioude

Un article rédigé par Stéphane Longin - RCF Allier, le 5 juillet 2024 - Modifié le 5 juillet 2024

Après Picasso en 2022 et Ernest Pignon Ernest en 2023, le Doyenné de Brioude invite les visiteurs à découvrir la peinture de Hans Hartung (1904-1989). Un artiste originaire de Leipzig qui a quitté l'Allemagne avant de s'engager dans la légion étrangère. Un parcours guidé par un besoin permanent de liberté qu'évoque Jean Louis Prat, le commissaire de l'exposition à découvrir du 5 juillet au 13 octobre 2024 en Haute-Loire.

Hans Hartung, T1943-5, 1943, huile sur toile, 100 x 74,50 cm © Fondation Hartung BergmanHans Hartung, T1943-5, 1943, huile sur toile, 100 x 74,50 cm © Fondation Hartung Bergman

RCF : Qui était Hans Hartung ?

Jean Louis Prat : C’était un artiste libre ! Que ce soit dans sa manière de s'exprimer, de peindre, de nous dire ce qu'il ressent, ce qu'il voulait absolument dès son jeune âge. Son autoportrait, figuratif, superbe, avec cette allure altière et ce regard tourné vers l’avenir, en témoigne. On voit aussi dans ses œuvres des années 1920 tout son désir de parler autrement, différemment, et de se dire qu’à travers un langage qu'on appelle abstrait et non figuratif, au sens où il ne décrit pas ce que l'on voit, il parle de sa pensée, de ce qu'il ressent et de ce qu'il veut, non pas nous imposer, mais s'imposer à lui-même et peut-être imposer aux autres artistes à travers l'histoire de l'art. Et c’est ce qui s'est passé.

Mais il y a de nombreuses peintures figuratives qui montrent bien l'aisance technique dans laquelle il était, qui montrent que Hans Hartung connaissait la peinture et qu’il aurait pu continuer dans cette voie. Mais cela devenait trop conventionnel pour lui.

Autoportrait de Hans Hartung 1922

Hans Hartung ne triche pas !

RCF : Hans Hartung est aussi, à l’époque, marqué par les changements politiques qui touchent l’Allemagne.

Jean Louis Prat : Oui, nous sommes dans ce moment trouble qu’est l'entre-deux-guerres. C’est la montée du fascisme, du populisme… Et Hans Hartung veut nous partager ses émotions, il veut nous partager sa vie et il va le faire avec une force, une détermination, une sincérité et un génie qui nous trouble parce que, inévitablement, si on veut parler de notre temps, nous sommes obligés de parler de Hans Hartung. Et ce qui est vrai pour lui est aussi vrai pour les plus grands artistes. Ceux qui s'inscrivent dans leur temps nous parlent d'eux-mêmes, ils n'imposent rien aux autres mais ils veulent être en accord avec ce qu’ils sont et ce qu’ils vivent. Et ils ne trichent pas ! Hans Hartung ne triche pas !

RCF : C’est cela qui caractérise la “Liberté Salutaire” (le titre de l’exposition du Doyenné) de Hans Hartung ?

Jean Louis Prat : Son parcours, du début à la fin, n’est fait que de découvertes, de trouvailles, de nouvelles techniques qui lui viennent à l’esprit et qu'il s'impose à lui-même comme une plongée permanente dans l’avenir. C’est en cela que son parcours est fascinant et un témoignage concret de cette liberté qui est nécessaire pour nous faire avancer.

Hans Hartung - Une liberté Salutaire
Hans Hartung, [Sans titre], 1940, gouache, encre et crayon sur papier, 37,20 x 27,50 cm © Fondation Hartung Bergman

RCF : Vous avez connu Hans Hartung. C’était un homme et un peintre engagé ?

Jean Louis Prat : Je l’ai bien connu et il était très engagé. Mais comme tous les artistes que j’ai connus. Je me rends compte que tous les artistes exposés au Doyenné l’étaient aussi en refusant les régimes les plus extrêmes. En 1922, Chagall quitte son pays car il ne pouvait plus y vivre, avant d’être naturalisé français en 1937. Picasso s’oppose au régime de Franco. Miró a lutté contre la montée du fascisme et s’est exprimé avec sa peinture. Il en est de même pour Nicolas de Staël qui a été obligé de fuir avec sa famille pour garder sa liberté. Une liberté qu’il a obtenue en passant de la peinture abstraite à la peinture figurative. Et curieusement, c’est l'inverse pour Hans Hartung, qui passe du figuratif à l'abstrait dès ses 20 ans. Il s'impose ce langage qui va l'amener à chercher de nouvelles manières de s'exprimer et il utilisera des procédés différents que nous retrouvons dans cette exposition. Au fil des années, il passe par la mise au carreau, utilise des outils très différents de ceux du peintre, en utilisant d’abord la peinture acrylique avant la peinture à l’huile. Ce sont aussi des trouvailles par rapport aux gravures et à la lithographie. C’est son travail de la terre qu'il va magnifier et amplifier de son regard par sa façon d'agir et de traduire ce qu'il ressent profondément et qu’il nous transmet avec une force extraordinaire. Enfin, il y a la vaporisation qu'il expérimente à la fin de sa carrière en s’éloignant de la toile. Chacun sa vérité, mais la vérité de l'un et de l'autre nous donne l'histoire de notre temps.

Hans Hartung est né en 1904, il a connu les deux guerres mondiales, sa famille était à Leipzig, son père était médecin, mais très vite il va se détacher de ça. Il va même s'engager pour garder sa liberté, dans la Légion étrangère française. Il perdra sa jambe gauche en combattant. Et à notre époque, il est important de voir qu’il y a encore des artistes, qu’ils soient peintres, écrivains ou musiciens, qui traduisent parfaitement leur temps à travers leurs émotions comme l’a fait Hans Hartung.

Hans Hartung par Jean Louis Prat- L'engagement des artistes face au fascisme

RCF : Quels conseils donneriez-vous aux visiteurs qui veulent entrer pleinement dans l’œuvre de Hans Hartung ?

Jean Louis Prat : Il faut prendre son temps ! Il faut apprendre à connaître et ressentir la peinture. Il ne faut pas seulement la regarder, il faut la voir ! Et la voir, ça veut dire faire des comparaisons avec d’autres artistes, entre les différentes périodes de la vie d’un peintre. Comprendre ce qu’ils nous disent à travers leurs toiles des époques qu’ils ont traversées. Et c’est à travers la découverte de toutes ces vérités juxtaposées que nous pouvons pleinement comprendre le langage des artistes. En partageant leurs émotions, les artistes nous permettent aussi de mieux comprendre qui nous sommes et pourquoi nous réagissons positivement ou négativement face à une œuvre.

RCF : Mais en ne donnant aucun nom à ses peintures, Hans Hartung rend la tâche encore plus difficile au public.

Jean Louis Prat : Mais pourquoi aurait-il donné un titre à ses pensées ? À son langage qui allait toujours de l’avant. Des numéros suffisent car il faut juste se laisser guider par ses propos et par sa peinture. Parce que Hans Hartung nous raconte ses émotions avec cette détermination que je trouve troublante parce qu'elle est juste ! Elle m'a toujours touchée et elle me touche encore beaucoup car sa peinture nous raconte tout simplement l'histoire du 20e siècle.

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