Musicien de génie, compositeur, arrangeur et chanteur, Michel Legrand était aussi un immense chef d’orchestre. Lui qui a composé tant de chefs d’œuvre pour le cinéma avait su marier le jazz au classique, dans une parfaite alchimie. Retour sur l'œuvre d'un enchanteur de la partition.
La version instrumentale et grand orchestre de La Chanson des jumelles est immédiatement reconnaissable. Depuis 52 ans, elle est le passeport des Demoiselles de Rochefort, le film éblouissant, haut en couleur de Jacques Demy, sorti en salles en 1967. Une ode magique à la vie, à l’amour et à l’insouciance à l’image de Delphine et Solange, inoubliables Catherine Deneuve et Françoise Dorléac dans la peau de jumelles musiciennes et show women.
Le film est, depuis, passé à la postérité en grande partie grâce à sa musique et à ses chorégraphies. En 2016, le jeune réalisateur franco-américain Damien Chazelle rendait hommage au tandem Demy-Legrand dans la séquence d’ouverture de La la land : un ballet incroyable improvisé sur une autoroute de Los Angeles à l’heure de pointe, clin d’œil à la scène de l’arrivée des camionneurs à Rochefort dans "Les Demoiselles"…
Michel Legrand aurait eu 87 ans, le 24 février. A la fois musicien, compositeur, chanteur et arrangeur, ce fou de jazz, qui racontait avoir vécu un véritable choc en découvrant, en 1948, le trompettiste américain Dizzy Gillespie, salle Pleyel à Paris, fit la grande rencontre de sa carrière professionnelle en 1961 en la personne de Jacques Demy. Sur le tournage de Lola, le premier long-métrage du cinéaste, une amitié complicité allait naître.
Écrite par Agnès Varda et interprétée par Jacqueline Danno, "La Chanson de Lola" figure dans le film qui porte simplement le prénom de scène de l’héroïne, jouée par Anouk Aimée, une danseuse qui travaille comme entraîneuse dans un cabaret de Nantes où la clientèle est constituée essentiellement de marins de passage. Après "Lola", le tandem Demy-Legrand tournera "La Baie des anges" avec au casting Jeanne Moreau, mais c’est leur troisième collaboration qui va les faire connaître et les faire passer dans une autre dimension grâce à une comédie musicale, chasse gardée jusque-là de Hollywood. Mais "Les Parapluies de Cherbourg", qui remporte la Palme d’or au Festival de Cannes en 1964, va prouver le contraire.
Michel Legrand a 34 ans lorsqu’en 1966, après avoir été nommé aux Oscars pour "Les Parapluies de Cherbourg", il décide d'aller tenter sa chance en Amérique et de s'installer à Los Angeles. Son amitié avec Quincy Jones et Henry Mancini vont l'aider grandement à se faire une place dans cette jungle qu’est Hollywood. Ils lui font rencontrer alors les paroliers Alan et Marilyn Bergman. En 1968, il va composer la bande originale de "L'Affaire Thomas Crown", de Norman Jewison, devenue célèbre grâce au titre inoubliable des "Moulins de mon cœur", The Windmills of your mind, en anglais, chanté par Noel Harrison, et pour lequel Michel Legrand remportera l'année suivante le premier de ses trois Oscars.
Trois ans plus tard, en 1972, Michel Legrand reçoit l'Oscar de la meilleure musique de film cette fois-ci pour "Un été 42" de Robert Mulligan dont la chanson-thème The Summer knows, chantée par Barbra Streisand, rencontre un grand succès. Entre temps, le compositeur a signé la musique des films "La Piscine" de Jacques Deray, d’"Un château en enfer", de Sydney Pollack, du "Messager", de Joseph Losey et de "Peau d’âne", où il retrouve Jacques Demy, trois ans après "Les Demoiselles de Rochefort".
Anne Germain double sur les chansons du film une Catherine Deneuve inoubliable dans le rôle de Peau d’âne ; un film devenu culte grâce à l'audace de ses thèmes et de son parti pris visuel, ainsi que par la musique magistrale signée Michel Legrand. En à peine cinq ans, Michel Legrand aura donc conquis Hollywood. De 1971 à 1975, il réussira l’exploit d’être nommé 27 fois aux Grammy Awards et d'en remporter cinq.
Michel Legrand décroche un troisième Oscar pour "Yentl", de Barbra Streisand en 1983. Et la même année, après le refus de John Barry, il se voit confier le privilège d’orchestrer la bande sonore de "Jamais plus jamais", d’Irvin Kershner, ultime James Bond avec Sean Connery.
On ne pouvait raisonnablement pas faire un hommage à Michel Legrand sans entendre quelques notes d’"Un été 42" et son thème si incarné qui figure au générique de la bande originale de ce film de Robert Mulligan. 12 ans avant "Yentl", Barbra Streisand apporte sa collaboration dans la version chantée. Michel Legrand avait rencontré l’actrice et chanteuse en 1966 à son arrivée aux États-Unis et lui avait signé les musiques d’un album intitulé "Je m’appelle Barbra".
Il y aurait encore beaucoup à dire sur Michel Legrand tant sa carrière est riche, et pas seulement au cinéma, lui qui aura écrit au final plus de 200 partitions pour le 7e art et la télévision, composé et joué sur des albums de jazz, avec Bill Evans, Stan Getz, Miles Davis ou encore John Coltrane. Sans oublier ses performances vocales car Michel Legrand était un grand pianiste mais aussi un grand chanteur à l'image de La valse des lilas qu'il compose en 1956.
Fabien Genest recommande la lecture de "J’ai le regret de vous dire oui" (éd. Fayard, 2018), préfacé par Damien Chazelle. Un récit où Michel Legrand brosse le portrait de trois femmes qui ont compté : Nadia Boulanger, sa mère en musique ; Barbra Streisand, son interprète américaine d’élection et Macha Méril, la femme de sa vie, rencontrée en 1964 à Rio mais épousée en 2014, soit un demi-siècle après leur coup de foudre.
Pour l’accompagner, on pourra consulter les multiples compilations disponibles et notamment "Legrand Jazz", un disque sorti en 2016 chez Joes Edizioni Musicali, 11 grands standards intemporels du jazz, revisités façon grand orchestre.
, instrumental, Les Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy (1967)
L’Arrivée des camionneurs, Les Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy (1967)
La Chanson de Lola, Jacqueline Danno, Lola, de Jacques Demy (1961)
Final Les Parapluies de Cherbourg, Les Parapluies de Cherbourg, Jacques Demy (1964)
The Windmills of your mind, Noel Harrison, L’Affaire Thomas Crown (1968)
La recette du cake d’amour, Peau d’âne, de Jacques Demy (1970)
Peau d’âne générique
Extrait du Gros Journal de Canal + , avril 2017
Never Say Never Again, Lani Hall, de Jamais plus jamais (1982)
The Summer knows, B. Streisand, Un Eté 42 (1971)
La valse des lilas, Michel Legrand
Je n'ai rien compris de l'amour, Fernandel, Le Schpountz, de Marcel Pagnol (1938)
Les Mariés de l’an II, main theme, M. Legrand, Les Mariés de l’an II, de J-Paul Rappeneau (1971)
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