Dans la niche des films historiques ratés, deux tendances majeures prédominent. Tout d'abord, le film dit "grand spectacle" à la réalisation souvent impeccable, mais bourrée de faits inventés, inexacts voire anachroniques. Si des œuvres comme "Napoléon" de Ridley Scott ou "Troie" de Wolfgang Petersen réussissent haut la main leur pari cinématographique, le pendant historique de leurs films demeure, lui, nettement plus discutable. Côtoyant un peu honteusement ces grosses productions, parlons enfin du navet historique qui, lui, se prend tout autant au sérieux mais n'a clairement pas les moyens de ses ambitions. On retrouve entre autres, dans cette catégorie, "Vercingétorix" de Jacques Dorfmann ou le bancal "Vaincre ou mourir" de Vincent Mottez et Paul Mignot. Des films baclés qui fleurtent avec l'amateurisme lorsqu'ils ne tombent pas carrément dedans.
Mais au-delà de toutes ces catégories, transcendant la médiocrité, un film incarne la quintessence des tares mentionnées ci-dessus. Un film indigne dont le traitement formel et les intentions propulsent celui-ci au Panthéon des adaptations historiques totalement à côté de la plaque. Une mise au point de Jean-Marc Reichart.
Le métrage se présente comme un énieme biopic racontant la vie de Jeanne La Pucelle, démarrant à sa prime enfance et allant jusqu'à sa mort sur le bûcher. En choisissant de traiter cette histoire, le réalisateur Luc Besson marche dans les traces de chefs-d'oeuvres intemporels au sujet similaire (réalisés par Dreyer, Bergman, Bresson...) et souffre donc, d'office, d'une très haute comparaison. En ce sens, il fait d'emblée preuve d'une vision inconsidérée qui se révèlera incroyablement outrancière une fois la prise de conscience par le spectateur de l'angle qu'il adopte pour son film, à savoir: la Pucelle d'Orléans n'était qu'une dingue sanguinaire qui ne cherchait, à travers sa démence, qu'à se venger personnellement du peuple anglais. Ainsi, pour Besson, tout sera prétexte à faire passer son personnage principal pour une détraquée, le réalisateur jouant sur l'accumulation d'éléments à la véracité douteuse, voire carrément inventés, afin d'atteindre son but.
Le scénario raconte l'histoire de Jeanne d'Arc, une jeune paysanne du XVe siècle qui prétend avoir reçu des visions divines lui demandant de libérer la France de l'occupation anglaise. Elle mène une série de quatre campagnes militaires avant d'être capturée, jugée pour hérésie et brûlée vive. La narration se concentre sur son ascension rapide, ses succès militaires, et son procès, mettant en lumière sa foi, sa détermination et surtout, chose curieuse, sa folie grandissante (sic). Au-delà du traitement déplorable du personnage de Jeanne d'Arc (sur lequel je reviendrai plus tard), c'est bien la vision des éléments historiques qui composent cette narration qui fait principalement grincer les dents des cinéphiles au point qu'elles se fissurent.
Tout d'abord, revenons sur l'assassinat grand-gignolesque de la sœur de Jeanne, qui constitue la première et la plus énorme liberté historique que s'octroie le cinéaste. Tellement énorme que cette séquence demeure une invention grotesque pure et simple, destinée à motiver la haine de la Pucelle envers les Britanniques. On assiste dès lors, médusé, au meurtre suivi du viol nécrophile de sa sœur par des soldats anglais édentés, venus on ne sais d'où, mettre sans raison le feu à son village natal. Face à cet apex de la balourdise, on excuserait presque la théâtralisation grossière du siège d'Orleans, le réalisateur rendant tragique à outrance les scènes de bataille tout en simplifiant les événements militaires et stratégiques réels. On passera aussi sur le couronnement de Charles VII, expédié, et sur le procès, mis en avant comme un événement rapidement orchestré avec une issue prédéterminée. En réalité, le procès de Jeanne fut long et complexe, impliquant de nombreux témoignages et délibérations. De plus, sa condamnation et son exécution étaient également influencées par des facteurs politiques et ecclésiastiques importants, caricaturés à l'excès dans le métrage lorsqu'ils n'en sont pas, tout simplement, absents.
Au niveau formel, pas grand-chose ne va non plus, la réalisation de Besson ne demeurant pas moins folle que son personnage principal dans le sens erratique du terme.
Saucissonné par un cadre de l'image beaucoup trop étroit, le film est littéralement enseveli sous une avalanche de gros plans. À l'évidence, ceux-ci représentent soi-disant une quelconque originalité stylistique, mais n'arrivent au final qu'à procurer un sentiment d'amateurisme relié à l'usage systématique et répété d'un même procédé. L'intérêt de se focaliser quasi-exclusivement sur les expressions faciales des personnages échappe assez vite à la compréhension générale, la subtilité n'étant pas immédiatement perceptible dans la direction des acteurs, ni dans le jeu de ceux-ci. Et ne voyons surtout pas un hommage lointain ou inconscient à "La Passion de Jeanne d'Arc" de Dreyer, car tenter la moindre comparaison entre Renée Falconetti et Milla Jovovich sur ce plan relèverait d'une délicieuse ironie ou d'une inquiétante atrophie esthétique.
Concernant les scènes de bataille, nous subissons avec peine une caméra épileptique, doublée de cadrages volontairement aux fraises histoire de faire "vrai". Cette shaky-cam brouillonne qu'on nous impose donne lieu à des scènes d'action hautement foutraques dominées par une courte focale qui, à la longue, procure la nausée. Si on ajoute à cela le grain de l'image et la photographie, j'ai eu la désagréable sensation d'assister durant mon visionnage à la fusion d'un mauvais téléfilm de Josée Dayan et du "Pacte des loups", même si cette fusion tiendrait plus du pléonasme que du fantasme. Une sorte de "Doberman" de Yan Kounen à la sauce médiévale (et ne croyez pas une seconde que c'est un compliment) en légèrement moins trash mais tout autant balourd et insupportablement survolté.
Ces caractéristiques rebutantes sont, en effet, très marquées surtout en ce qui concerne le traitement de l'héroïne...
Tout le long du métrage, Jeanne d'Arc est volontairement présentée comme une folle furieuse à la limite de la camisole de force. Atteinte de démence profonde, elle passe la plupart du film à hurler comme une possédée, déambulant à cheval, complètement psychotique, les yeux révulsés, presque la bave aux lèvres. Elle pique aussi fréquemment de puissantes crises de nerfs à la violence rare, oscillant entre bouffées délirantes mystiques, hallucinations visuelles, auditives et hystérie pure. Et ce n'est certainement pas cette vendetta fictive envers les anglais qui parvient à crédibiliser sa soif de sang démesurée, totalement inappropos. Quelle piteuse image salissante que nous propose Besson de la Pucelle d'Orléans! Elle, décrite par tous les historiens un peu sérieux comme une jeune femme très simple, pieuse, obéissante et disciplinée avec un brin d'impatience. En réalité, tout le contraire du monstre halluciné qu'on nous présente. Un critique averti ne peut être dupe: ce traitement "iconoclaste" demeure finalement un prétexte boursouflé pour charger gratuitement et, sans doute, inconsciemment une figure du roman national français. Un traitement qui en dit long sur le changement de perception concernant ce personnage historique chez certains cinéastes, si l'on se réfère bien sûr à l'angle adopté dans les illustres adaptations d'antan. Rendons tout de même à César ce qui est à César (ou plutôt, ici, à Charles VII): il faut souligner la cohérence du casting vis-à-vis des intentions de base. Précisons, d'ailleurs, que la réalisatrice d'origine, Cathy Bigelow, s'est vue imposée Milla Jovovich par Besson qui, une fois avoir pistonné l'actrice (et non autre chose...), est tout bonnement parvenu à lui voler son film. Peu habituée aux rôles de composition, Jovovich est indiscutablement à sa place dans cette entreprise de dénigrement à peine voilée, livrant une interprétation criante de vérité dans la frénésie hystérique. Élevant le surjeu de la démence au rang d'art, son cabotinage perpétuel amplifie à merveille le côté lourdaud de la folie que le film expose. Sans ambages: elle est parfaite dans son rôle de barjot.
Au bout du compte, avec toute possibilité de mesure bien enfoncée dans la poubelle, le film se termine sur le plan d'une croix brandie à travers les flammes du bûcher, comme un dernier pied-de nez inutile et pesant. Un grossier effet de manche anticlerical au sein de ce sous-cinéma américain à la sauce française. Alors, sans regret, tirons définitivement le rideau sur cette proposition répulsive, délivrée par un cinéaste visiblement fier de ses approximations historiques patinées de subversion en chocolat. Un affront certes médiatisé envers la figure de Sainte Jeanne d'Arc mais, tout compte fait, heureusement dérisoire au regard de son strict intérêt cinématographique.
Découvrez plus de décryptages de films qui questionnent ou sont en lien avec la foi chrétienne dans L'Oeil de dieu, une émission proposée par Laurent Verpoorten, co-animée avec Jean-Marc Reichart.
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