Si les Japonais sont fascinés par la France et son "art de vivre", l’inverse est aussi vrai. Depuis quelques années, le Japon connaît un succès fulgurant auprès des Français qui se passionnent pour la culture foisonnante de l’île. Jane Fujiwara est à cheval entre ces deux cultures. Native de Tokyo et installée en France depuis plus de 20 ans, elle explique les ponts entre ces deux pays fondamentalement différents.
Pour mieux comprendre la complexité et la richesse de la culture japonaise sans tomber dans une admiration béate et parfois un peu naïve, Thierry Lyonnais reçoit Jane Fujiwara, auteure de "La parfaite Tokyoïte" (éd. Les Arènes).
Dès le XIXe siècle, le Japon fascine les occidentaux : collectionneurs et peintres se rendent sur place et s’inspirent de l’esthétique ou des traditions japonaises, créant ainsi le courant artistique qu’est le japonisme. Dans la même veine, les Occidentaux d’aujourd’hui se passionnent pour les mangas ou l’art de vivre à la japonaise. Née à Tokyo, Jane Fujiwara se fascine pour la France lors de ses cours de danse classique, en entendant le vocabulaire en français. "L’appel de la France était ancré dans mon cœur d’une façon indélébile", explique-t-elle. Aujourd’hui, cela fait plus de 20 ans qu’elle vit et travaille à Paris. Elle souhaite "être un pont entre ces deux cultures".
"J’étais viscéralement attirée par la beauté de la langue française", se souvient celle qui a commencé à apprendre le français lors de sa dernière année de lycée. En plus de la langue, Jane Fujiwara est profondément attirée par l’art de vivre à la française : "je trouve ça fou qu’on en fasse un art!", s’enthousiasme-t-elle. Si beaucoup de Japonais sont déçus en arrivant en France, Jane Fujiwara s'est vite adaptée. "J’aime l’esprit râleur. Je me suis mise moi aussi à aller boire un verre de vin en terrasse, à aller acheter ma baguette…". Pourtant, les deux peuples sont fondamentalement opposés sur certains aspects : "on n’a pas du tout la même manière de vivre ensemble. En France on pense d’abord à soi quand au Japon on privilégie le groupe".
"Comment fais-tu pour rester zen ?", s’entend souvent dire Jane Fujiwara quand elle est au bureau, dans une maison de mode parisienne. "L’idée du livre part de là. J’avais beau vivre en France depuis plus de 20 ans et me sentir parfois plus Française que Japonaise, je me demandais pourquoi on me percevait à ce point comme zen". Jane Fujiwara se questionne : son "attitude par rapport à la vie" est-elle héritée du savoir-vivre japonais ? Pour proposer des éléments de réponse, elle s'attèle à la rédaction d’un livre.
Selon l’intervenante, cette "quiétude, ce recul par rapport à la vie et cette grande dignité face à l’épreuve" est propre aux Japonais. Au Japon, il n’y a pas de définition des valeurs nationales comme en France avec la devise : "on se comprend sans se parler". De même, "on ne croit pas à l’éternité mais il existe une croyance fondamentale que tout est éphémère, donc que rien n’est éternel", appuie Jane Fujiwara. C’est selon elle la notion cruciale d’impermanence qui explique cette position de sagesse.
Et malgré la modernité bien installée dans la culture japonaise, "on a le sentiment de faire partie de la nature, que l'on doit absolument respecter", explique Jane Fujiwara. Une relation qui trouve sa source dans la religion originelle qu’est le Shinto et qui cultive un lien très intime avec les esprits de la nature. "Le bouddhisme a toujours coexisté avec le shintoïsme, et aujourd’hui les deux religions sont souvent pratiquées ensemble : elles ne sont pas contradictoires". Selon l’auteure, les Japonais ont conscience que le monde est régi par quelque chose qui les dépasse. Si cela peut paraître paradoxal avec le culte de la modernité qui existe au Japon, Jane Fujiwara rappelle que d’où elle vient, la nature peut être "protectrice et destructrice à la fois". Dans ses films d'animations à succès, Miyazaki met en valeur cet aspect de la culture japonaise.
Il existe en japonais des mots intraduisibles et pourtant révélateurs sur les modes de vie sur l’île. Jane Fujiwara nous aide à en comprendre le sens. Ainsi, le wa est "la quête de l’harmonie, qui dirige la vie des Japonais". Au Japon, "on sait vivre ensemble: le bien-être du groupe apporte plus que son propre désir". C’est ce wa qui pousse les Japonais à garder leur opinion pour eux pour ne pas contredire ou briser l’harmonie. Si un Français peut percevoir cette habitude comme moutonnière, Jane Fujiwara répond simplement que "au Japon on n’aime pas la confrontation, on préfère l’insinuer". Un exemple criant est la foule tokyoïte comparée à la foule parisienne. Chez les uns, personne ne se rentre dedans, "comme si la foule avait une existence en soi", quand chez les autres on "se cramponne à son individualité".
Comme le wa, il existe des tas d’expressions qui reflètent la culture japonaise, à l’image de la notion de wabi-sabi : "la beauté du dépouillement". "C’est la notion du temps qui passe sur un objet simple et imparfait. C’est ce qui le rend précieux. C’est le contraire du faste et du bling-bling", éclaire l’intervenante. Il y a aussi le mono no aware, qui est la "beauté éphémère de toute chose, sans fatalité, le sentiment mélancolique mais sans fatalisme". Pour Jane Fujiwara, vivre avec cette double-culture est une vraie richesse. "On doit pouvoir être libres de choisir notre mode de vie, sans pour autant oublier ses racines et jouir d’être au croisement de plusieurs influences culturelles".
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