Depuis ses premières planches au début des années 90, il a publié plus de 130 albums. Joann Sfar est aussi romancier et réalisateur - on se souvient du film "Gainsbourg (vie héroïque)" (2010). Il vient de publier le 9e tome de sa série "Le Chat du rabbin", la plus connue de ses œuvres, celle qui est aussi la plus intime et la plus spirituelle. "Il est rigolo le Dieu des juifs, dit le personnage du chat, mais il a un sens de l'humour qui me dépasse. Dès qu'il t'aime tu sais déjà que tu vas avoir de gros ennuis."
Comme son héroïne, Zlabya, Joann Sfar est orphelin de mère. Quand il avait plus de 3 ans, sa mère est morte, et son père n'a pas su le lui dire : comme cela se faisait parfois à cette époque, les années 70, on lui a dit que sa mère était partie en voyage. "Il m'arrive de penser que c'est grâce à ce mensonge que j'ai appris à raconter des histoires - parce qu'il faut toujours chercher une chose positive dans ce qu'on a vécu !"
"Le Chat du rabbin" ce n'est pas l'histoire de Joann Sfar. Mais ses personnages enfantins sont presque toujours orphelins. "Je n'ai pas de manque, j'ai vraiment des vides", dit-il. Ne pas avoir connu sa mère ou très peu fait qu'il ne ressent pas de manque, mais un vide. "Ça détermine une manière singulière de grandir avec la conscience de la mort assez présente." La mort est même "omniprésente dans [son] travail". Même si "Le Chat du rabbin" regorge de perles humoristiques.
Avec une mère issue d'une famille juive d'Ukraine et un père séfarade d'Algérie, Joann Sfar cultive dans "Le Chat du rabbin" ce qu'il nomme "le paradoxe juif". Cette façon de "taper à longueur de temps sur la religion, avec la certitude que les textes sont tellement puissants, que plus on va les critiquer, plus on va les fortifier". Pour l'artiste, loin de "d'abimer le dogme religieux", il le "vivifie".
Ses bandes dessinées, il les conçoit comme "un jeu de l'oralité, de l'amusement". Avec humour, il fait passer un message d'une grande profondeur. "J'essaie à la fois d'évoquer des sujets essentiels de ne pas faire la morale." Joann Sfar n'est pas pratiquant et n'est "pas sûr d'être croyant". Cependant, il considère son activité artistique comme de l'ordre du spirituel. "J'ai décidé que mon activité spirituelle ce serait cette narration, de raconter des histoires, c'est devenu chez moi un besoin vital."
Là où son père, accablé de chagrin à la mort de sa mère, s'est "investi dans la religion" comme dans "une échappatoire", s'"inventant un rigorisme juif", Joann Sfar se rapproche lui d'une tradition juive où l'on cultive la joie et l'humour. "J'avais des cousins qui étaient infiniment plus religieux que lui et beaucoup plus marrants !"
L'artiste remarque qu'aujourd'hui, un peu comme son père autrefois, beaucoup ne voient la religion "que comme une série d'interdits". Un courant qui traverse "toutes les grandes religions" et qui "a le vent en poupe". Avec souvent une utilisation de "la parole religieuse comme une parole de pouvoir". "Mon ennemi c'est le littéraliste, celui qui estime que le texte se suffit à lui-même." Joann Sfar, qui dans sa bande dessinée émet l'idée que "Dieu est un type bien" se dit que "c'est une idée qu'on ne met pas assez dans la tête des gamins !"
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