Depuis la séance d’ouverture du Festival et l’intervention surprise en direct de Kiev du président ukrainien, on l’a bien compris, l’Ukraine serait l’invité incontournable durant cette quinzaine cannoise.
Ce jeudi, c’est le cinéaste russe en exil à Berlin, Kirill Serebrennikov, qui a présenté son dernier film, « La femme de Tchaïkovski ». Et dès la première scène, on comprend que le cinéaste russe se croit tout permis : dans sa chambre funèbre, Tchaïkovsky se réveille d’outre-tombe pour insulter sa femme venue se recueillir sur sa dépouille : il lui en veut toujours et lui en veut encore !
Parce que, tout de même, Serebrennikov s’en prend à Tchaïkovski, une icône de la culture pour le Kremlin qui a toujours présenté une version très policée de la vie amoureuse du célèbre compositeur. Ici, Serebrennikov nous explique que ce mariage avec une musicienne du conservatoire a été désastreux, certes, mais a probablement servi à cacher l’homosexualité du compositeur qui voulait afficher une certaine normalité aux yeux de la société de l’époque.
Puis le cinéaste russe prend le spectateur à contrepied puisqu’il suit l’épouse, Antonina, qui vit sa passion obsessionnelle pour son mari jusqu’à la destruction, offrant au passage à l’actrice Aliona Mikhaïlova de signer une interprétation intense et magistrale. N’ayons pas peur des superlatifs, elle irradie complètement le film.
Le cinéaste opposant à Poutine signe ainsi le récit d’une passion absolue à sens unique où le génial compositeur, l’acteur Odin Biron, tente de dissimuler son homosexualité derrière des habits de soirée et une barbe de gentilhomme.
La caméra virevolte, montre des rues remplies de mendiants, des familles qui se déchirent, des parties fines entre hommes et un final onirique avec des marins nus qu’on croirait presque sortis tout droit d’une pub Jean-Paul Gaultier !
Au terme de la projection officielle, Kirril Serebrennikov a lancé un vibrant « Non à la guerre ». En conférence de presse, le lendemain, il a eu à répondre à des questions plus parfois embarrassantes de journalistes qui s’interrogent sur l’origine du financement de ses films. Le cinéaste dissident s’en est défendu, expliquant qu’il avait certes reçu de l’argent du pouvoir russe mais que celui-ci avait contribué à concrétiser de beaux projets au cinéma comme au théâtre où il est aussi grandement impliqué.
Le film pourrait-il figurer en bonne place au palmarès du 75è Festival de Cannes, le 28 mai au soir ? Pas impossible même s’il est, bien évidemment, encore trop tôt pour le dire.
Au Festival de Cannes, Pierre Germay
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