C’est l’automne. Les jours raccourcissent. Les vents se lèvent et les volcans se réveillent. « J’aimerais tant voir Syracuse » chante Salvador sur le poème de Bernard Dimey. J’y suis allé à la Toussaint. Ce fut décevant : chahuté dans le vent d’automne, rincé par l’ouragan, j’ai dû renoncer à un rêve inondé.
Mais j’ai relu Bernard Dimey, poète de Montmartre. Il écrit sur le temps qui passe, le mal de vivre, le rêve, l’amour, l’amitié, le plus souvent en alexandrins.
La figure du Christ le fascine : il lui consacre plusieurs textes sur la Passion, sur la montée au Golgotha et la Crucifixion. Finalement pour confesser la foi d’un agnostique : « Je ne crois pas en Dieu, mais j’aime les églises ».
Il va consoler ses peines et son ennui dans les cafés de Montmartre :
« Quand on a rien à dire et du mal à se taire,
On peut toujours aller brailler dans un bistrot,
Parler, parler, parler, pour que l’air se déplace,
Pour montrer qu’on sait vivre et qu’on a des façons… »
Quand il a le cœur en déroute, il déclare :
« J’ai le cœur aussi grand qu’une place de foire,
On y vient sans façons, on y fait Dieu sait quoi,
Mais je ne voudrais pas qu’on en fasse une histoire,
Car cette histoire de cœur ne regarde que moi ».
Sur le rêve, il est volontiers prolixe. C’est un prétexte aux grands voyages dans l’espace et même dans l’histoire :
« Je n’ai pas inventé la roue,
Ni la poudre, ni le tabac,
Mais j’ai deux châteaux à Cordoue,
Il paraît qu’ils n’existent pas »
« Que devient la vieille Russie ?
Où sont les pauvres, où sont les riches ?
On a vu souffler la folie,
On a perdu le tsarévitch »
L’histoire, il la voit dans le prisme de sa bouteille, et dans son imaginaire généreux et ardent :
« Napoléon, un gars comme ça,
J’l’ai pas connu, lui, c’est dommage
J’y aurai dit, mon bon monsieur,
On m’a dit que vous étiez corse,
Or, c’est l’seul pat’lin sous les cieux ,
Où y’a pas de travailleurs de force ! »
L ‘amour est un thème récurrent dans la poésie de Dimey ; il en parle en jeune homme timide :
« J’te dirai , Mademoiselle, accordez-moi cette danse,
Tu m’diras, Mais Monsieur, je ne vous connais pas.
J’répondrai : c’est comme ça qu’un grand amour commence,
Et comme un débutant, j’te prendrai dans mes bras »
Dans un poème intitulé J’aimerais tant savoir, il apparaît désabusé :
« On peut dormir ensemble à cent lieues l’un de l’autre,
On peut faire l’amour sans jamais se toucher,
L’enfer peut ressembler au paradis des autres
Jusqu’au jardin désert qu’on n’aurait mal cherché...»
Et dans un autre écrit, il fait preuve de lucidité fataliste :
« Le pinard, c’est pas bon quand on le boit sans femme,
Picoler solitaire est assez triste au fond,
Il manque évidemment le meilleur du programme.
Pour avoir compris ça, on a cent fois raison »
Je ne peux terminer cette chronique d’automne sans m’arrêter sur une note plus légère. Il y en a aussi chez Dimey, qui sait faire preuve d’humour et de légèreté :
« A vingt ans, cœur joyeux, moi qui ne savais rien,
J’allais aux quatre coins des horizons du monde,
Je croyais comme vous que la terre était ronde,
Et les hommes parfaits, je m’en portais si bien… »
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