Faisons un bond en arrière sur la ligne du temps, pour revenir à une époque qu'on aurait préféré meilleure : les années 30 en Allemagne. Pour parler de cette époque, nous allons nous concentrer sur ce qu'ont vécu quelques familles juives réfugiées en Belgique. Jean Christophe Dubuisson qui a mené l'enquête sur la vie de huit juifs réfugiés chez nous. Rencontre avec l’auteur.
Vous avez remonté la trace de huit personnes réfugiées et parfois déportées à travers l'Europe. Quel a été le point de départ de votre enquête ?
Il faut savoir que dans ma famille, du côté de ma grand-mère, on a toujours su qu'il y avait un jeune Juif qui avait été caché mes arrière-grands-parents. Je n'en savais pas tellement plus, mais le point de départ qui m'a décidé à mener l'enquête, c'est quand, en mars 2018, une journaliste du Washington Post a contacté mon père pour savoir si ma grand-mère était encore en vie. Elle a décidé de venir l'interviewer en Belgique. Et là, quand on vous dit qu'une journaliste du Washington Post vient interroger votre grand-mère, on a envie d'être présent. C'est la première fois que j'ai pris la dimension de cette histoire tragique et que j'ai eu envie de mener l'enquête sur ce jeune réfugié juif, Ralph Mayer, originaire de Cologne.
Vous parlez donc de Ralph Mayer, ce jeune originaire de Cologne, il n'est pas la seule personne dont vous parlez dans votre livre ?
J'avais toujours entendu parler d'un seul jeune garçon caché, Ralph Mayer. Mais suite à la visite de la journaliste, j'ai voulu rendre hommage à la famille de Ralph Mayer, dont les parents sont décédés à Auschwitz.
Il existe ce qu'on appelle des pavés de la mémoire, des blocs de béton recouverts d'une couche de métal sur lesquels sont inscrits les noms des disparus. J'ai donc fait des démarches pour que des pavés de la mémoire soient scellés devant le dernier domicile de la famille à Cologne. C'est là que j'ai découvert qu'il n'était pas seul, mais qu'ils avaient trouvé refuge en Belgique avec d'autres Juifs, des familles originaires de Francfort et de Berlin, cachés au square Vergote à Bruxelles.
Vous parlez de la Nuit de Cristal dans votre livre. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui s'est passé à Cologne ?
Oui, c'est un épisode décisif en Allemagne. Le 9 novembre 1938, il y a eu une montée de la haine des nazis envers la communauté juive, avec des vitrines de synagogues et de magasins juifs brisées. Cette nuit, appelée la Nuit de Cristal, a décidé les Mayer et d'autres familles à partir d'Allemagne de toute urgence. Après cette nuit, ils ont pris la direction de la Belgique, un pays qui accueillait de nombreux réfugiés juifs allemands à cette époque.
Et une fois arrivés en Belgique, leur vie n'a pas été facile, n'est-ce pas ?
Non, ce n'était pas facile. Les Mayer étaient une famille d'industriels dans le textile à Cologne, et leurs affaires fonctionnaient bien. Dès les années 30, Éric Mayer, le père de Ralph, se rendait compte des dangers du nazisme. Il a décidé de devenir représentant de commerce en Belgique, un pays neutre, sans dettes de guerre comme l'Allemagne suite au traité de Versailles. Cependant, il n'a jamais obtenu un passeport lui permettant de rester plus de quelques semaines en Belgique. Il a donc inscrit son fils au Collège Saint-Michel à Bruxelles avec l'aide des jésuites, faisant passer Ralph pour un catholique et changeant son nom pour paraître plus belge. Après la Nuit de Cristal, les Mayer ont fui l'Allemagne et sont arrivés en Belgique dans des conditions très difficiles, souvent à pied et sous la neige.
Vous avez rassemblé un grand puzzle avec l'histoire des Mayer, mais aussi d'autres familles. Combien de temps vous a-t-il fallu pour reconstituer ces histoires ?
L'enquête a commencé en 2018 et le livre est sorti en 2023. Il m'a fallu environ quatre ans, car j'ai dû voyager dans de nombreux pays d'Europe et rencontrer de nombreuses personnes. J'ai découvert que les Mayer se sont installés dans un petit appartement au square Vergote à Bruxelles, où ils ont hébergé d'autres réfugiés comme l'infirmière Stéphanie Kusterlitz et la famille Bloch de Francfort.
Parmi les choses marquantes de votre enquête, quelles sont celles qui vous ont le plus touché ?
Il y a des personnages admirables et horribles que j'ai découverts. Par exemple, "Le Gros Jacques", un Juif proxénète qui a travaillé pour la Gestapo après que sa femme et ses enfants aient été arrêté en 1941. Il a dénoncé de nombreux Juifs, dont les parents de Ralph Mayer. À côté de cela, il y a des héros comme les résistants du groupe G, qui ont attaqué un convoi de déportation en 1943, permettant à plus de 230 Juifs de s'échapper.
Vous parlez aussi de votre famille et des Justes parmi les nations. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, plusieurs membres de ma famille ont été reconnus comme Justes parmi les nations, dont mes arrière-grands-parents. Ma grand-mère a reçu la médaille des Justes pour ses parents en novembre 2022, un événement particulièrement touchant. Cela montre que même dans les périodes les plus sombres, il y a eu des personnes courageuses prêtes à risquer leur vie pour sauver d'autres personnes.
Avez-vous pu identifier l'homme des États-Unis mentionné à la fin de votre livre ?
Non, je ne sais pas qui c'était. Lors de l'inauguration des pavés de la mémoire à Cologne, le locataire actuel de l'appartement des Mayer m'a raconté qu'un vieux monsieur avec une dame plus jeune s'était présenté, connaissant parfaitement l'appartement. Ce monsieur a refusé de parler à la propriétaire actuelle, qui avait acheté l'appartement après la Nuit de Cristal. C'est une histoire mystérieuse et nous ne saurons probablement jamais qui il était.
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