Les célibats sont aujourd'hui multiples. Ils peuvent être définitifs, prolongés, temporaires, prénuptiaux, consacrés, involontaires ou transitoires... Les pratiques sont elles aussi diverses : du non-mariage à la non-conjugalité, de la chasteté à la non-cohabitation, elles viennent percuter les visions traditionnelles des célibats.
Avec le temps, les pratiques de la vie seul se sont multipliées et se conjuguent aujourd'hui au pluriel. Plusieurs chercheuses se sont penchées sur l’histoire des célibats pour comprendre l’évolution des visions qu’on en a. Dominique de Monléon Cabaret est co-auteure avec Claire Lesegretain du livre "Célibataires, votre vie a un sens - De nouvelles perspectives en Église" (éd. Saint Paul, 2023). Dans "Histoire de célibats - Du Moyen Age au XXe siècle" (éd. PUF, 2023), les historiennes Claire-Lise Gaillard et Juliette Eyméoud remontent le temps pour mieux appréhender cette question.
C’est parce qu’elle constate que l’histoire du célibat manque à l’historiographie française que Juliette Eyméoud décide d’écrire sa thèse sur cette question. "Dès le XIXe siècle, le célibat est considéré comme un fléau", souligne Claire-Lise Gaillard. Quand le marché de la rencontre naît, il y a l’idée de contrer ce fléau : le célibat est menaçant dans la mesure où il mènerait à la dépopulation du pays. "Pour comprendre, il faut envisager le célibat comme un statut social", pointe Juliette Eyméoud.
Longtemps, l’idée qu’une vie se construit à deux reste majoritaire. Ainsi, selon les chercheuses, les injonctions sociales poussent au mariage, donc à la parentalité. "Dans l’imaginaire, le couple est une forme de réalisation de soi", note Claire-Lise Gaillard. D’autant que "le célibat s’accompagne longtemps d’un jugement moral : les célibataires sont des égoïstes, des gens qui vivent pour eux et qui ne participent pas au bien de la nation". Cette perception se voit renforcée avec les guerres mondiales du XXe siècle et les nombreuses pertes masculines.
Si avec le temps, le célibat est de moins en moins stigmatisé, l’idée qu’il ne doit pas s’éterniser persiste. Dominique de Monléon Cabaret estime que "les yeux se sont ouverts dans le sens du respect, même si pour beaucoup solitude ne rime pas forcément avec bonheur". C’est au XVIIIe siècle que le mot "célibat" apparaît dans les dictionnaires. Avant, d’autres termes étaient utilisés : "fille majeure, sans alliance, vieille fille, libertins, solitaires, disponibles…" énumère Juliette Eyméoud.
"Le célibat féminin est vu comme un danger", déplore Claire-Lise Gaillard. Dans le mariage, il y a l’idée que le mari doit pourvoir aux besoins de l’épouse. L’épouse, elle, se réalise par cette alliance. Sans mariage, elle pourrait risquer d’être hystérique. Au XVIIe siècle, Henriette de Conflans illustre l’idée que le célibat peut être émancipateur. Cette "fille majeure" bénéficie de la protection d’une de ses amies d’enfance et noue, seule, des relations avec le milieu lettré parisien. Toute sa vie, elle résiste à l’injonction d’une vie à deux.
Des femmes catholiques choisissent elles aussi le célibat. Dominique de Monléon Cabaret cite par exemple Madeleine Delbrêl, qui souhaite "servir totalement les gens de la rue". Ainsi, elle est "seule mais pas solitaire". C’est en se mettant au service des autres que Madeleine Delbrêl donne du sens à son célibat.
"Le célibat peut aussi être militant", pointe Claire-Lise Gaillard. Considérant que le mariage n’est possible que s’il existe une égalité entre les sexes, Madeleine Pelletier, au début du XXe siècle, choisit le célibat. Pour elle, c’est la seule option possible pour les femmes. "Sans ça, elles sont oppressées par le mariage", explique l’historienne. Penser le célibat à travers les siècles, c’est aussi penser les amitiés entre les femmes et entre les sexes.
"La question du choix advient à partir du XXe siècle", explique Claire-Lise Gaillard. Dans les agences matrimoniales, les personnes peuvent choisir leur conjoint. Cette question est devenue aujourd’hui "vertigineuse". Pour Dominique de Monléon Cabaret, "on a de plus en plus de mal aujourd’hui à accepter les frustrations". Pour elle, les réseaux sociaux ou les applications de rencontres contribuent à la difficulté à se rencontrer en vérité, "surtout dans les grandes villes".
Si l’horizon du couple persiste majoritairement dans la France du XXIe siècle, les chercheuses s’accordent sur le fait que les parcours de vie et les types de relations se "déstandardisent". Il existe aujourd’hui une plus grande acceptation des différentes relations, qui se voient multipliées. Pour Dominique de Monléon Cabaret, "les célibataires d’aujourd’hui sont aux avant-postes de la recherche de sens".
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