Qu’elle soit menée par Périclès ou Vladimir Poutine, la guerre traverse les époques et les continents. Les champs de batailles, les armées, les tactiques et les mentalités évoluent autour de cette pratique plus que souvent condamnée. Le conflit qui a lieu en Ukraine depuis presque un an pose de nombreuses questions quant aux façons de mener une guerre aujourd’hui.
Il y a plusieurs siècles, on parlait des grands chefs de guerre comme d’artistes, avec des intuitions, une expérience. Si certains considèrent la guerre comme un art, Jean Lopez préfère la qualifier de "pratique regroupant différentes disciplines". Il est directeur de la rédaction de la revue Guerres & Histoire. Avec Benoist Bihan, chercheur en études stratégiques, ils ont écrit "Conduire la guerre, entretiens sur l’art opératif" (éd. Perrin). Le livre s’intéresse, entre autres choses, aux théories du combat.
Mener une guerre, c’est avoir une part d’instinct et de créativité. Le chef de guerre déploie des moyens variés, en tenant compte "d’un million d’événements contingents". Avec le temps, la perspective dans laquelle le combat est mené évolue : la tactique n’est ni éternelle, ni universelle. Pour Benoist Bihan, un changement majeur est la transformation de la volonté politique au service de la guerre.
Il n’existe pas de guerre indépendante de la politique. Bruno Colson est professeur à l’université de Namur et auteur d’une biographie autour de Carl von Clausewitz. Selon ce théoricien du début du XIXe siècle, "la guerre n’est que la poursuite de la politique par d’autres moyens". Pour lui, la guerre ne relève plus d’une vision mécanique mais organique : elle soit être englobée dans sa globalité. Clausewitz insiste sur la part d’incertitudes soulevées par la guerre, qui incite à prendre des décisions dans un milieu incertain.
"Périclès : change la règle du jeu". Connu pour ses stratégies de guerre, Périclès cumule la fonction de chef d'État et de chef de guerre. Pour combattre Sparte, il choisit de laisser son ennemi se fatiguer sans l’affronter. Après lui, d'autres estimeront que temporiser est une solution. Plus tard, la guerre de Sécession frappe les États-Unis de plein fouet. Elle est la plus meurtrière de l’histoire du pays. Face à l’évolution des conflits et aux défaites des nordistes, Lincoln change de stratégie : il veut changer la personnalité du Sud, son mode de vie, sa vision politique. C’est une spécificité américaine que de vouloir changer le régime socio-politique et économique de son adversaire.
Si Napoléon a autant marqué l’histoire de la guerre, c’est qu’il incarne les deux fonctions majeures qu’ont la guerre. Homme d'État et stratège, il est aussi celui qui administre la tactique sur le terrain. Sa tactique, "sensiblement en avance sur celles de ses adversaires", lui permet de s'imposer comme un général victorieux. Grâce à son armée nombreuse, il mène des campagnes efficaces, ce qui mène Clausewitz à voir en Napoléon l'homme "qui a mis la Prusse à genoux".
"Les batailles de Verdun ou de la Somme n’ont pas eu de résultat stratégique malgré la débauche de moyens : elles sont de véritables hachoirs humains", déplore Jean Lopez. Pensée pour "briser les reins de l’armée française", Verdun est un bain de sang qui ne produit pas de résultat politique. Des deux guerres mondiales qui traversent le XXe siècle, on retient le nombre de morts sans précédent, avec de nouvelles armes et techniques de guerres. Les soldats sont envoyés comme de la chair à canon.
Aujourd'hui, le monde a les yeux tournés vers l'Ukraine. En février 2022, Vladimir Poutine est entré en guerre avec une "offensive brusquée", soldée par un échec. Le président russe ne s'attendait à une telle résistance ukrainienne. Pour les deux pays, il s'agit de trouver des stratégies de guerre : d'un côté, Zelensky mise sur la défense et travaille à une coalition internationale ; de l'autre, Poutine cherche des alternatives pour envahir plus vite son voisin. Les intervenants soulignent que les deux chefs d'État ne sont pas des stratèges. Ce qui importe semble être la victoire. Clausewitz, à son temps, considérait en tous cas "la défensive comme la forme la plus forte de la guerre".
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