Depuis plus de vingt-cinq ans Grégoire Ahongbonon est au service de ceux qu'il appelle "les oubliés des oubliés", les personnes souffrant de troubles mentaux, à travers l'association Saint-Camille qu'il a fondée. Son ami, le psychiatre Benoît des Roches décrit son engagement en Afrique de l'Ouest dans un livre "Le regard qui libère" publié aux éditions Salvator. Ils sont tous les deux les invités de Véronique Alzieu dans l'émission Témoin.
Grégoire Ahongbonon est béninois, Benoît des Roches lui est québécois. Leur rencontre va changer leur vie, un véritable coup de foudre amical. "On s'est reconnus". Tous les deux sont passionnés de psychiatrie et bouleversés par la souffrance qu'elle peut engendrer notamment en Afrique de l'Ouest.
Pour accompagner voire sauver les malades psychiques, souvent soupçonnés d'être possédés par le diable, Grégoire Ahongbonon a créé plusieurs centres de soins en Côte d'Ivoire, au Bénin, au Burkina Faso et au Togo avec l'association Saint-Camille.
Si Grégoire Ahongbonon est si proche des malades, c'est parce qu'il s'est senti lui aussi très fragile à un moment de sa vie. "Moi aussi j'ai tenté de me suicider à cause d'une dépression grave que j'ai eu lorsque j'ai perdu tout ce que j'avais" explique-t-il. C'est Dieu qui l'a sauvé.
Alors qu'il est au plus mal, Grégoire Ahongbonon rencontre un prêtre qui lui conseille d'aller à Jérusalem. Dans la ville sainte, il comprend sa vocation lorsqu'il entend un prêtre dire "chaque chrétien doit participer à la construction de l'Eglise en posant une pierre". Grégoire réalise alors qu'il ne faut pas forcément être prêtre ou religieux pour consacrer sa vie à la construction de l'Eglise, tous les baptisés ont un rôle à jouer.
En le regardant j'ai commencé à me dire : "C'est Jésus que je vais chercher dans les Eglises mais c'est lui, Jésus, qui souffre en personne à travers ce malade.
Après avoir compris que sa vocation était d'aider les plus délaissés, Grégoire Ahongbonon travaille avec les prisonniers, les lépreux et les enfants des rues. En 1990, il fait la rencontre d'un malade mental qu'il était habitué à voir. "En le regardant j'ai commencé à me dire : "C'est Jésus que je vais chercher dans les Eglises mais c'est lui, Jésus, qui souffre en personne à travers ce malade" raconte-t-il.
En Afrique, ils sont nombreux à vivre dans la rue, ostracisés et souvent violentés. En effet, pour une large frange de la population, les malades psychiques sont associés au diable ou à la sorcellerie. "En Afrique, les malades mentaux sont "les oubliés des oubliés". Il n'y a pas de structures qui existent pour les traiter, c'est très rare" rappelle Grégoire Ahongbonon.
La Côte d'Ivoire compte 25 millions d'habitant pour une superficie à peu près équivalente à la France. Pourtant, le pays ne compte que deux hôpitaux psychiatriques.
Benoît des Roches, psychiatre, explique que ce qui fait peur chez les malades psychiques c'est leurs interactions humaines parfois hors-normes, déroutantes. "C'est gens là sont imprévisibles et on aime pas ce qui est imprévisible, on a peur."
Au Bénin, il y a une douzaine de psychiatres pour dix millions d'habitants
Il n'est pas rare de voir dans les rues ivoiriennes ou béninoises des "fous" errants, fouillants dans les poubelles ou même des individus attachés. Ces scènes extrêmement choquantes montrent à quel point la maladie psychique fait peur. Par ailleurs, Benoît des Roches rappelle que le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso ou le Togo sont des pays extrêmement pauvres. "Les gens n'ont pas beaucoup d'argent, ils ne peuvent pas voyager une centaine de kilomètres pour aller chercher les soins [...] il n'y a presque pas de structure et les médecins de premières lignes ne sont presque pas formés à la santé mentale". Aujourd'hui, au Bénin, il y a peu prés une douzaine de psychiatres pour dix millions d'habitants.
A défaut de soins, les malades psychiques sont attachés des jours, parfois des semaines ou des années. "Des fois, ils sont dans une maison, on perce un trou et la chaîne elle est attachée à un arbre à l'extérieur. Des fois, ils sont attachés dehors dans la brousse pendant des années. On parle de gens qui doivent tout faire sur place, leurs besoins etc et se contenter des miettes parce qu'on leur jette la nourriture et pas seulement de la nourriture, on leur lance des pierres. C'est inhumain, c'est inhumain..." s'émeut Benoît des Roches.
Face à tant de situations inhumaines, Gregoire Ahongbonon a fondé l'association Saint-Camille en 1991 pour prodiguer des soins aux malades mentaux et accompagner les familles et la société afin de mieux appréhender et comprendre ce type de maladie. Il y a aujourd'hui 7 centres en Côte d'Ivoire, 4 au Togo et un cinquième est en construction au Bénin. En 2022, on compte plus de 130 000 hommes et femmes qui ont pu bénéficier de laide de l'association. Pour le fondateur, rien de cela n'aurait été possible sans sa foi inébranlable en Dieu : " je vis quelque chose qui ne vient pas de moi. Je vis quelque chose par Dieu, avec Dieu et pour Dieu."
Je vis quelque chose qui ne vient pas de moi. Je vis quelque chose par Dieu, avec Dieu et pour Dieu
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