"Une fratrie aussi douée, aussi talentueuse, que celle des Brontë, il n'y en a pas beaucoup dans l'histoire de la littérature." Charlotte, Emily et Anne, forment avec leur frère Branwell une fratrie étonnante, à qui l'on doit quelques unes des plus grandes œuvres de la littérature anglaise, "Jane Eyre" et "Les Hauts de Hurlevent" - des ouvrages qui appartiennent au fonds de quasiment toutes les bibliothèques du monde ! Les sœurs Brontë c'est aussi un mythe, façonné par les biographes, où la vie et l'œuvre sont étroitement mêlées. Un mythe que Jean-Pierre Ohl a voulu approcher pour mieux comprendre ce qui nous fascine tant chez ces génies de la littérature. Il publie "Les Brontë" (éd. Gallimard).
Pour Jean-Pierre Ohl, la première cause de cette fascination c'est "le pluriel" : quand on parle des Brontë, on évoque Charlotte (1816-1855), Branwell (1817-1848), Emily (1818-1848) et Anne (1820-1849). Si leurs textes, romans et poèmes sont différents, la source d'inspiration est commune. Elle trouve son origine dans les jeux qu'il inventaient enfants, de véritables mondes imaginaires qu'ils n'ont cessé de faire vivre tout au long de leur vie. Cette ambivalence entre travail collectif et unicité des œuvres est tout à fait fascinante.
L'autre ingrédient du mythe c'est le malheur. Malheur qui "s'est réellement abattu sur cette famille" - puisque le père a survécu à ses six enfants dont pas un n'a dépassé les 40 ans - mais qui a été largement mis en scène par les biographes. Elizabeth Gaskell en tête : sa "Vie de Charlotte Brontë" en 1857 montre combien la romancière avait été fascinée par les destinées tragiques au sein de la fratrie. Autre biographe célèbre à laquelle Jean-Pierre Ohl fait souvent référence, Daphné Du Maurier, l'auteure en 1960 du "Monde infernal de Branwell Brontë" (réédité en 2018 aux éditions La Table Ronde, dans une traduction de Jane Fillion). Les deux biographes ont vraisemblament traité leurs sujets comme les romancières qu'elles étaient, donnant une tournure romanesque à leur travail.
En 1820, la famille Brontë s'installe à Haworth, un village du West Yorkshire, dans le nord de l'Angleterre. Le fameux presbytère qui se visite encore aujourd'hui a été le centre névralgique de la famille. De grands écrivains y sont passés qui disaient venir en pèlerinage, dans ce qui a été le point d'ancrage de la fratrie, surtout pour Emily, que l'on a appelé "la vestale d'Haworth".
Haworth, c'est pour Jean-Pierre Ohl un lieu symbolique. Un lieu frontière, ouvert d'un côté sur la vallée travailleuse où la révolution industrielle est en marche, de l'autre côté se déploie la lande sauvage à perte de vue, un paysage désertique devenu mythique sous la plume des Brontë.
Patrick Brontë (1777-1861) a survécu à sa femme et à tous ses enfants. Le mythe Brontë est fait aussi de cette empreinte particulièrement forte de la mort, qui a tant fasciné les biographes. Et que l'on retrouve dans l'atmosphère inquiétante des "Hauts de Hurlevent" ou de "Jane Eyre". Quand, le 15 septembre 1821, Maria Brontë meurt d'un cancer de l'utérus à 38 ans, elle laisse donc six enfants et un veuf qui ne se remariera pas. À partir de 1824, il envoie ses filles Maria, Elizabeth, Charlotte et Emily à Cowan Bridge, un pensionnat que l'histoire retiendra comme sordide, une image amplifiée par les descriptions que fera Charlotte du pensionnat de son héroïne, Jane Eyre.
Quand on évoque les sœurs Brontë on parle surtout de Charlotte l'auteure de "Jane Eyre" ou d'Emily pour "Les Hauts de Hurlevent". Anne, la benjamine, est tenue pour une écrivaine de moindre importance, même s'il y a lieu d'admirer son talent. On dit de "La recluse de Wildfell Hall" qu'il compte parmi les premiers romans féministes. Quant au frère, Branwell, s'il a publié de son vivant, surtout des poèmes, il est resté dans l'histoire comme un artiste raté, en proie à l'alcool. Il a cependant tenu un rôle essentiel dans le développement de l'imaginaire de ses sœurs.
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