Les barbares sont partout. Dans les journaux écrits ou télévisés, le mot ne cesse d’être employé pour désigner les coupables des crimes les plus atroces. Mais on voit aussi des barbares au cinéma, dans les bandes-dessinées ou les jeux vidéos. Ils incarnent souvent des valeurs positives - ceux de "Game of Throne", sont même associés à une certaine idée de la pureté. Les barbares sont-ils des monstres ou des justiciers? Et surtout, comment un même terme est-il venu à désigner des réalités aussi éloignées?
Tout commence en Grèce antique, où le barbare constitue d’abord une réalité sonore: des paroles incompréhensibles prononcée par les étrangers, ce qui ressemble à "bar-bar". Une science nouvelle, l’ethnographie, vise à délimiter les contours culturels de cette altérité. Est alors barbare tout ce qui n’est pas grec, sans qu’il y ait toujours un jugement de valeur. À partir du IIè siècle, c’est en revanche Rome qui vient imposer sa conception de la barbarie. Celle-ci se fonde sur des conceptions géopolitiques. Pour Tite Live ou Jules César, le barbare est l’homme qui habite de l’autre côté de la frontière ; cet être-là est dangereux, le sac de Rome de 390 av. J.-C. constituant l’un des événements fondateurs de l’identité romaine. En revanche, une fois soumis ou vaincu, ce même homme perd l’essentiel de son altérité et peut devenir citoyen. Pour Rome, la barbarie représente donc, avant tout, le spectre de la menace militaire: l’ennemi, qu’il faut montrer pour démontrer sa dangerosité.
Évidemment, certains originaux jouent à chanter les louanges des barbares. Vers l’an 100 de notre ère, Tacite affirme que les peuples du nord, parce qu’ils ignorent l’usage de l’argent et des produits de luxe, sont plus vertueux que les Romains. A l’occasion, les penseurs chrétiens vont reprendre ce thème même si, à bien y regarder, la plupart des intellectuels de l’Antiquité tardive continuent de penser le monde en séparant strictement civilisés et barbares.
Un tournant se dessine pourtant à la fin du VIe siècle, notamment sous la plume du pape Grégoire le Grand (590-604). Celui-ci dialogue donc avec les Francs, les Wisigoths et les Anglo-Saxons, autant de peuples convertis à la foi chrétienne ; la chrétienté naissante remplace peu à peu l’Empire comme cadre de référence. Par conséquent, les seuls vrais barbares sont les païens, du nord ou du sud, des êtres lointains que l’évangélisation doit un jour intégrer et libérer de la sauvagerie. À l’époque médiévale, le barbare se résume donc désormais à l’infidèle, et le thème est particulièrement présent à l’époque des raids vikings, des offensives arabes et des grandes expéditions hongroises.
À partir du VIIè siècle, les nouveaux royaumes européens s’inventent pourtant des origines "barbares", en insistant sur un passé national brillant avant la rencontre avec la Rome chrétienne. En Allemagne, cette recherche d’un passé germanique s’enflamme à partir de la Renaissance. En France aussi, les débats sur le statut de la noblesse cristallise autour du mythe des Grands Invasions. Aux Etats-Unis, les auteurs du premier XXè siècle se montrent aussi fascinés par la figure du barbare, où se croisent l’image du migrant et celle de l’homme de la frontière. Apparaît ainsi dans l’entre-deux guerres un barbare de fiction dont la figure la plus célèbre est le Conan de Robert E. Howard (1906-1936).
Figure de ce que l’on n’est pas mais que l’on voudrait peut-être devenir ou redevenir, le barbare demeure ainsi une figure en constant changement. Destructeur ou régénérateur, fléau ou sauveur, le personnage est l’objet de tous les fantasmes, alors même qu’il est impossible à définir. "Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage", écrivait déjà Montaigne.
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