La vie secrète des écrivains est une bande dessinée basée sur le roman du même titre, écrit par Guillaume Musso. Au dessin : Miles Hyman que nous avons reçu dans Tu m’en liras tant. Rencontre avec Miles Hyman.
Cette bande dessinée s’est-elle faite à quatre mains ?
C’est lui [Guillaume Musso] qui a écrit le roman évidemment, mais il m'a confié le roman dès le début en me demandant de faire moi-même le scénario. Donc l'adaptation à partir de l'original pour arriver à une version bande dessinée qui était à la fois fidèle à son roman, mais aussi qui intégrait toutes les idées que j'avais envie d'intégrer dans la version graphique de ce livre. Je dirais que c’est un travail à deux mains, mais avec deux yeux qui étaient là par moments me conseillaient, qui me guidaient avec beaucoup de liberté. Il m'a vraiment donné carte blanche et j'apprécie ça.
C'est la première fois que Guillaume confie un de ses romans à un dessinateur pour une adaptation en bande dessinée. C'est après avoir lu un de mes albums, La Loterie, qu'il a imaginé que je pourrais adapter Vie secrète des écrivains qui pour lui est un de ses romans les plus personnel. Je pense que c'est une idée qui est venue en deux fois et donc que ce n'était pas son attention à l'origine.
Ce livre raconte potentiellement l'histoire qu'aurait pu vivre une maison d’édition. On y suit un peu différents personnages, dont plusieurs écrivains. On reste beaucoup dans le monde de l'édition.
Complètement. Et j'aime dire que y a dans ce roman, il y a plusieurs romans. Il y a le polar qui reste quand même le fil conducteur, mais construit dessus il y a aussi une réflexion sur la littérature sur le fait d'écrire, sur l'impact que les métiers créatifs, et notamment celui des écrivains, peuvent avoir sur l'individu. On a face à face un vieil écrivain qui s'est retiré du monde, Nathan Falls, Franco-américain qui se retire dans une villa fermée sur la côte d'une île, l’île Beaumont. Et de l'autre côté, le jeune écrivain en herbe, qui n’a jamais été publié, Raphaël Bataille, qui vient à l’île Beaumont dans le but de rencontrer son idole, Nathan Falls.
Tout au long de cette bande dessinée, on a plein de petites références, de plein d'auteurs. Est-ce difficile d'écrire sur l'auteur qui se enfin sur les auteurs qui se sentent souvent pris en cage, parfois d'eux-mêmes, dans leur écriture ?
Du moins c'est le vécu de Nathan Falls. Ce que j'aime bien dans ce face à face entre l'écrivain âgé et le plus jeune, c'est qu'il y a toute la panoplie d'émotions qu'on peut ressentir en écrivant, mais je pense par extension aussi en faisant presque n'importe quel métier créatif, on vit aussi ces deux extrêmes. C'est-à-dire d'un côté le parfois la frustration de devoir s'enfermer et travailler et créer X planches par semaine. Ne pas pouvoir partir en vacances, voir ses amis pendant quelques semaines ou quelques mois parfois. Et de l'autre, l'émerveillement, la joie de créer, d'inventer un monde de toutes pièces à partir de notre vécu, de notre imaginaire. Ces deux façons de voir les métiers créatifs coexistent en permanence dans l'esprit de chacun de nous. Et je pense que c'est une des choses qui m'a intrigué dans le roman, c'est de pouvoir vraiment faire parler ces deux visions de des métiers créatifs.
Et vous, vous avez plutôt laquelle de ces deux facettes ?
Les deux en permanence. On sait tous que la bande dessinée est assez chronophage et assez laborieux. Il y a des moments effectivement où on n'a pas envie de travailler autant, mais c'est presque comme un accouchement à la fin, on oublie la souffrance et on est concentré sur la joie et le plaisir qu'on a à tenir le résultat entre les mains. C’est le moment magique qui efface tout le reste. Heureusement sinon il n’y aurait ni dessinateur, ni dessinatrice ou d'écrivain.
Mais l'essentiel, c'est d'essayer de marier les deux d'une façon cohérente et harmonieuse. De façon à ce qu'on puisse continuer à créer et avoir une carrière dynamique et pleine. J'ai le plaisir de constater qu’après toutes ces années de création, je retrouve autant de plaisir et de stimulation à aborder un projet comme celui-ci que j'aurais pu trouver dans mes premiers albums.
Et vous, vous avez un jour envie de tout arrêter, d'aller vous planquer sur une île ?
Justement, non. Je suis encore, heureusement, après plus de 30 ans d'activité dans le camp de Raphaël Bataille. J'ai le plaisir de pouvoir en plus diversifier entre la bande dessinée, l'illustration et de plus en plus la peinture. Ce qui fait que quand je termine un album comme La vie secrète des écrivains, je me suis lancé directement dans la création d'une vingtaine de toiles qui sont parties à New York. De plus en plus, le métier qu'on fait reste dynamique et très divers. Il y a de plus en plus de voies qui s'ouvrent nous permettant de faire plein de choses différentes.
Je constate que depuis que je fais ce métier qu’il y a de plus en plus d'options stylistiques, techniques, différentes approches qu'on peut prendre, qui fait qu'on est tout le temps stimulé, renouvelé. Ça reste un métier très dynamique pour moi.
Comment avez-vous abordé ce livre ?
Tout est dans le respect de la mécanique du roman d'origine et c'est là peut être le défi le plus rude en abordant ce projet. Savoir comment élaguer, puisque on arrive avec un roman de 350 pages et il fallait ramener ça à une bande dessinée qui ne pouvait pas dépasser les 200 planches et on est à 170. J'ai transposé une partie de la narration en images, c'est évident. Toutes ces descriptions de l'île, c'est devenu des images.
L'élément polar c'est une seule intrigue qui est vue de plusieurs points de vue et c'est ça qui est intéressant. Il faut montrer chaque interprétation de ce qui s'est passé. Il y a un crime terrible qui a lieu, qui est vécu de plusieurs façons différentes par chaque personnage. Et donc l'exercice était de montrer chaque vision de cette terrible nuit sans dévoiler le secret qui le sera à la fin. Secret qui va nous donner la vérité sur ce qui s'est passé. Il fallait montrer la scène d'une telle façon que toutes les interprétations possibles restent encore ouvertes.
Cela doit contraindre beaucoup dans le dessin.
Ça fait partie des défis que j'adore en fait. Oui, c'est compliqué, mais c'est une bonne complication. Dans La Loterie, qui est un autre album que j'ai fait à partir d'une nouvelle de ma grand-mère, Charlie Jackson, il y avait un défi similaire. C’est à dire qu’il fallait trouver l’équivalent graphique de son langage très particulier qui est un peu minimaliste, qui nous dit peu, tout en décrivant des scènes assez banales. On sent qu'il se passe quelque chose très menaçant derrière.
J’apprécie beaucoup cet exercice qui consiste à vraiment guider le regard du lecteur dans une certaine direction, tout en masquant ce qui puisse se passer en périphérie. De cette façon là on arrive à avoir des scènes visuellement stimulantes, mais où l'essentiel est toujours un petit peu hors champ. Et avec cette approche là, on arrive à garder toutes ces voies ouvertes pour que la lectrice soit toujours un peu déboussolée, que cette interrogation permanente sur ce qui se passe vraiment devant ses yeux ne soit jamais tout à fait élucider jusqu'à la fin.
Il y a des fins qui finissent bien, il y a des fins qui finissent mal. On est un peu dans l'entre deux ici ?
Oui effectivement, il y a une intrigue qui se dénoue. On découvre une vérité surprenante. C'est une fin qui est très puissante. Tout à la fin du roman, il y a un épilogue que je voulais absolument le garder parce que c'est une sorte de jeu de narration en tiroir. Ou une autre explication, une autre couche de « vérité » qui s'ouvre devant nous. On comprend d'un coup que tout ce qu'on vient de lire sort d'une réflexion d'un autre écrivain qui s'appelle Guillaume Musso qui était allé sur l’Ile Beaumont – c'est encore une fiction puisque l'île en question n'existe pas. C’est notre façon de voir les faits qui nous mets encore un peu dans la confusion, puisque tout est réexpliqué différemment. J'ai absolument voulu garder cette fin pour avoir tout l'impact du roman d'origine.
La vie secrète des écrivains, si vous la dépeignez comme cela elle devient moins secrète.
Non, il ne faut pas qu'elle devienne moins secrète. On peut toujours donner notre propre explication pour essayer de comprendre. Le secret finalement, que ce soit Nathan Falls ou le jeune Raphaël, mais aussi tous les différents écrivains qui viennent s'exprimer pendant que l'intrigue se déroule, on n'est jamais au point de tout comprendre.
D'ailleurs le regard un peu ambigu de chacun des écrivains qui nous parlent directement les yeux dans les yeux, que ce soit Georges Simenon, William Shakespeare ou Umberto Eco, ils ne dévoilent jamais vraiment le fond de leurs émotions. On est toujours un peu entre une phrase limpide qui nous donne quelques indices sur ce qui est en train de se passer et un regard qui, finalement, est assez neutre. Ou bien qui est un regard intense qui est dirigé vers nous. Il n’y a ni de grimaces, ni de sourire, ni de d'autres formes d'indices qui nous diraient quel est le fond de leur pensée. Je pense que c'est dans cet espace là où se glisse le lecteur. C'est dans cet inconnu, dans ce mystère, dans ce secret qui reste total. Il faut qu'on puisse avoir encore la place pour que nous puissions l'interpréter.
Quelle a été votre technique de dessin ? Vous avez peint ?
Non, en fait, il s'agit de planches réalisées au fusain, donc c'est du dessin fait main. Ça devient de plus en plus rare de notre époque. Et puis c'est une technique hybride puisque je scanne les planches et je fais vraiment une mise en couleur assez minimaliste, ce qui ne dépasse jamais ce que j'aurais fait tout simplement avec des couleurs.
Le fusain est vraiment le l'âme de la planche, c'est le dessin fait main. Mais la couleur joue un rôle important puisque ça lui donne un peu la tonalité, le côté solaire de cette île méditerranéenne. Les couleurs correspondent à ce qui se passe dans l’histoire. Le gris est ensuite remplacé par des scènes où le dominent le rouge et l'orange. La palette est un outil de narration aussi quelque part, puisqu'il il nous permet de « fixer une couleur », une tonalité émotionnelle aux scènes qu'il anime.
Pour ceux qui auraient déjà lu le bouquin de Guillaume Musso, c'est un peu une redécouverte totalement différente ?
C'est ma volonté. C'est un peu le débat de fond sur tout ce qui touche à l'adaptation graphique de littérature et à quel point est-ce qu'on a la liberté de réinventer l'œuvre en question. Je suis de l'école où tout en restant fidèle à l'œuvre d'origine, on a presque l'obligation de ramener les lecteurs vers autre chose. Vers une nouvelle version du livre qu'ils ont lu, apprécié ou qu’ils découvrent pour la première fois. C'est à la fois une interprétation de la vie secrète des écrivains et une autre narration indépendante du roman. Je pense que le langage graphique est vraiment une autre façon de raconter l'histoire parallèle en quelque sorte au roman d’origine.
Dans l’histoire il y a une réflexion autour de ce que lisent les gens : de la littérature sérieuse ou bien une lecture de détente. Est-ce que le fait d’adapter des romans en bande dessinée, ce n'est pas aussi une autre façon de faire découvrir cette littérature ?
Une sorte de vulgarisation de la littérature ? Je ne pense pas. Je pense que ce n'est pas la bonne façon d'aborder la question : comme une façon de rendre la littérature plus accessible, plus facile pour un public qui n'aime pas lire. Je ne pense pas que ce soit dans cet esprit là au moins que moi je fonctionne.
Je suis beaucoup plus dans l'idée qui touche plus à la tradition cinématographique où on adapte une œuvre, mais on fait une nouvelle œuvre avec ce roman d'origine. Il n’y a pas la volonté de simplifier ou de rendre plus accessible. Au contraire, toutes les complexités, les secrets, les mystères du roman d'origine doivent être intacts dans le roman graphique. Je préfère voir ce que je fais presque plus comme une forme d'analyse littéraire qu'une simplification d'un roman.
Dire que c'est une simplification ou une façon de rendre les romans plus accessibles, c'est avoir un regard dénigrant sur la bande dessinée, sur les romans graphiques ?
Oui, c'est tout à fait juste. Je pense qu'on peut-on peut dire ça. En tout cas, ce n'est pas en simplifiant une œuvre littéraire qu'on le rend plus engageant. Je trouve cet exercice moins intéressant, mais ça existe et ça fonctionne bien là chez certains éditeurs et certains auteurs. Mais ce n'est pas ma démarche à moi. J'essaie de ne pas juger ceux qui font et qui aiment ça. Je crois qu'il y a la place pour tout le monde et j'aime bien avoir un esprit collégial et ouvert pour la profession.
Je pense que tout le monde peut et doit coexister dans une même écosphère culturelle. Mais c'est vrai qu’il y a ce discours entre la « vraie littérature, ou au moins la littérature sérieuse, et une autre forme de littérature qui est plus accessible, peut-être plus conviviale, plus ouvert à un grand public. Il y a cette tension qui est exprimée très clairement dans La vie secrète des écrivains et que j'ai gardé totalement parce que je pense que c'est un thème central.
Vous faites la distinction entre roman graphique et bande dessinée, pour vous, ce n’est pas tout à fait la même chose ?
C'est vrai qu’il y a autant de définitions du roman graphique qu'il y a d'auteurs qui en font. Je suis à l'aise avec les deux à vrai dire. Je pense qu’il y a une volonté littéraire dans ce que j'ai fait avec cet album qui fait que j'estime que je suis peut-être à cheval entre les deux. Ce n'est pas une création littéraire originale de ma part, mais quand même, pour moi, la densité, la présence de thèmes qu'on associe plus avec la littérature, me fait penser que ceux qui aime les romans graphiques vont être à l'aise avec cet album. Mais ça reste aussi une bande dessinée, donc pour moi je ne suis pas du tout dans un camp ou un autre. J'aime bien rester ouvert et je pense que deux lecteurs différents vont peut-être trouver dans cet album deux intentions différentes.
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