"Une machine à habiter". C’est ainsi que Le Corbusier définissait l’une de ses œuvres les plus célèbres, la villa Savoye qu’il a construite autour de 1930 à Poissy, dans le département des Yvelines, à la demande d’un couple fortuné.
Pour être complet, l’architecte en parlait aussi comme d’une "machine à émouvoir ". Voilà de curieux assemblages de mots, bien dans la manière provocatrice de ce géant qui a dominé l’architecture du XXe siècle pour le meilleur et pour le moins bon.
Dans le cas précis de ce bâtiment, le meilleur, c’est l’extraordinaire audace de cette boîte posée sur des pilotis, quadrilatère presque parfait ouvert aux quatre horizons. La maison compte trois niveaux reliés par une rampe en pente douce. Au rez-de-chaussée, les espaces de service. Au premier étage, le séjour, les chambres et un jardin suspendu. Au sommet, un solarium abrité derrière des parois courbes. Tout cela est parfaitement pensé et dessiné, à la fois rationnel et envoûtant. Effectivement, la machine est émouvante.
Le Corbusier inventait beaucoup. Mais il n’était pas bon du tout pour le service après-vente. Peu de temps après avoir pris possession de la villa en 1931, Monsieur et Madame Savoye ont constaté que la toiture en terrasse posait de gros problèmes d’étanchéité. Problèmes qui n’ont jamais été résolus. Si bien que le couple a finalement très peu utilisé cette résidence secondaire. Elle est restée longtemps à l’abandon si bien qu’à la fin des années 1950, la ville de Poissy voulait la faire démolir. Heureusement, l’alerte a été donnée et André Malraux, alors ministre de la Culture, a fait classer le bâtiment comme monument historique, du vivant de l’architecte, ce qui, je crois était une première.
Parce qu’il y a une excellente raison de s’y rendre : une exposition - jusqu’au 25 septembre prochain - de l’artiste franco-italienne Nathalie du Pasquier. La villa, du fait de son histoire mouvementée, est restée vide de mobilier. Nathalie du Pasquier l’a, en quelque sorte meublée de ses œuvres.
Au point de départ de ce projet, il y avait une contrainte : ne rien accrocher aux murs qui sont d’ailleurs peu nombreux car la villa est très ouverte sur l’extérieur. Nathalie du Pasquier a donc conçu des œuvres autoportantes. Cela prend la forme de faux meubles où sont installés les tableaux et les éléments en bois peint de cette artiste originaire de Bordeaux mais qui vit à Milan depuis quatre décennies. Elle a participé, comme designer, à l’aventure du groupe Memphis fondé par Ettore Sottsass dont je vous ai parlé il y a quelque temps. L’équipe de Memphis créait des meubles, des objets, des tissus aux tonalités très joyeuses. On en trouve l’écho dans la géométrie colorée des tableaux de Nathalie du Pasquier.
Ce travail se marie extrêmement bien avec les lignes épurées de l’architecture de Le Corbusier et vient en quelque sorte la réchauffer. Les "meubles ", entre guillemets, de Nathalie du Pasquier donnent envie de vivre dans cette maison qui, hélas, n’a presque jamais été habitée.
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