Pendant quatre siècles l'Église catholique a tenu une liste des œuvres interdites, le fameux Index librorum prohibitorum. Parmi elles, des romans de Balzac ou Zola ont été "mises à l'index". Pourquoi et comment des œuvres ont été ainsi censurées par le Vatican ?
Pourquoi interdire la lecture de "Madame Bovary" à la "République des chrétiens" ? Pourquoi condamner les œuvres de Lamartine, Hugo, Balzac, Zola et de la presque totalité de la littérature française du XIXe siècle ? Pendant quatre siècles, l'Église catholique a tenu une liste des œuvres et des auteurs interdits, le fameux Index librorum prohibitorum. En 1998, Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, a permis aux chercheurs d'accéder aux archives et de comprendre pourquoi et comment les œuvres étaient mises à l'index. Jean-Baptiste Amadieu, auteur du livre "Le censeur critique littéraire" (éd. Hermann) les a consultées.
L'Index est un catalogue, c'est une liste des auteurs et des œuvres à ne pas lire. Elle apparaît au XVIe siècle, un peu avant le concile de Trente (de 1545 à 1563) et perdure jusqu'en 1966, au lendemain de Vatican II. "Pendant quatre siècles, l'index a servi de guide, si on peut dire, bibliographique pour les lectures."
L'Index désigne aussi une congrégation romaine, un dicastère, c'est-à-dire une association de cardinaux qui décide des œuvres interdites ou non. "Le poste clé de cette congrégation est celui du secrétaire, qui est toujours un dominicain."
Quand l'ouvrage est un essai, par exemple de théologie, le rôle des censeurs est de relever les phrases qui s'écartent de la doctrine de la foi ou des règles des mœurs et de leur attribuer une "note de censure", selon le degré d'écart avec la doctrine. "La difficulté vient avec la fiction, explique Jean-Baptiste Amadieu, où on n'énonce pas de proposition, on raconte une histoire : tout de suite ça devient plus compliqué pour apprécier l'écart ou la dangerosité de l'ouvrage."
Parmi les 4.000 auteurs interdits : Montaigne, Diderot, Descartes, Balzac, Stendhal, Lamartine, Flaubert, Zola... et bien d'autres. Il semble même qu'une bonne partie, voire presque la totalité de la littérature de fiction française du XIXe siècle se trouve dans ce fameux Index. Et surtout, les raisons invoquées pour la censure étaient tenues secrètes, on ne savait pas pourquoi on ne pouvait pas les lire. D'où le caractère exceptionnel de l'ouverture, en 1998, des archives antérieures à 1939. "Une occasion inouïe pour les chercheurs." Qui attendent mars 2020, date à laquelle les archives du pontificat de Pie XII seront accessibles, soit toutes celles antérieures à 1959.
"La première chose qui vient à l'esprit, c'est tout ce qui concerne la morale conjugale, en particulier la banalisation de l'adultère, mais pas seulement..." Jean-Baptiste Amadieu a pu noter en effet que "les fictions du XIXe siècle sont beaucoup jugées pour leur rapport à la foi". Par exemple celles qui proposent "des religiosités hors dogmes". Ainsi "Spiridion" de George Sand (publié entre 1838 et 1839), "développe des conceptions paraclétistes" et reprend "les théories de Joachim de Flore" (1135-1202) qui "contredisent le dogme d'une révélation complète avec la venue du Christ lui-même".
Autre exemple, le naturalisme : cette doctrine esthétique dont Émile Zola est le principal représentant. "C'est aussi un terme qui a une signification religieuse : le naturalisme c'est la négation du surnaturel, c'est un athéisme pratique et les censeurs de Zola sont persuadés qu'il y a solidarité entre naturalisme esthétique et naturalisme philosophique." Finalement, ce que montre Jean-Baptiste Amadieu dans son ouvrage, c'est que "ce qui est essentiel dans le débat porte sur la question de l'Église qui se conçoit comme l'intermédiaire entre le monde humain et le monde divin, or, ce qu'est le romantisme, c'est précisément une multiplication des voies d'accès immédiates au divin".
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