Strasbourg : les difficultés de la chaîne du livre, sur fond de Capitale mondiale

Durant la période du marché de Noël, la Ville de Strasbourg a installé sur la place Saint Thomas le ‘chalet des éditeurs’. Chaque jour, il est mis à la disposition d’une maison d’édition locale. En ce début de marché de Noël, l’association Littér’al occupe le petit chalet, le temps d’une journée. Elle réunit des auteurs alsaciens qui, pour l’occasion, se relaient pour échanger avec les passants, visiteurs et locaux de passage, autour d’un jus de pomme chaud. En ce milieu d’après-midi, c’est l’auteur Jacques Fortier qui est installé à l'abri du chalet, stylo en main, pour dédicacer son dernier roman ‘La grande illusion de Jules Meyer’. 

L'association existe depuis une dizaine d’années (...) On essaie de faire savoir toute la richesse de création qui se passe ici. (Pierre Marchant, président de Littér’al)

Astrid Franchet connaît bien le réseau, elle qui s’est lancée dans l’édition en 2017. Elle sort deux à trois titres par an, et fonctionne au coup de cœur en éditant des auteurs franco-allemands.

Les éditeurs, en proie à l’inflation

Les éditions ‘Astrid Franchet’ ne lui permettent pas d’en vivre. Le marché est immense, encore plus pour les petits éditeurs comme elle. Ce qui la fait tenir ? La passion bien sûr, mais aussi quelques succès qui lui ont permis de rééditer certains titres. Sur la vente d’un ouvrage, elle ne récupère que quelques pourcents. La plus grande partie revient aux libraires, aux distributeurs, aux diffuseurs, aux imprimeurs, etc. qui se partagent une grosse partie du prix de vente. La récente inflation vient amplifier la difficulté de gestion de la maison d’édition : le prix du papier, notamment, a grandement augmenté, notamment depuis la guerre en Ukraine. Pour s’en sortir, elle a donc opté pour le ‘crowfunding’, les cagnottes en ligne, pour lesquelles les internautes intéressés peuvent investir. L’éditrice est donc assurée de vendre un minimum d’exemplaires, ce qui lui permet de mieux se projeter sur ses ventes.

Même son de cloche pour les libraires indépendants

Une technique également adoptée par Eric Schultz, fondateur de la librairie strasbourgeoise ‘La tâche Noire’. Il y a un an, lui aussi a lancé une cagnotte en ligne pour sauver sa trésorerie, alors au plus bas. Le plus gros de la dette s’élevait alors à 30 000 euros, principalement en raison du retard de paiement de loyer. Les internautes ont depuis répondu à cet appel à l’aide, témoignant au passage de leur attachement pour cet établissement spécialisé en littérature policière et en romans noirs. Il peut donc envisager plus sereinement l’avenir, mais pour combien de temps ? 

Aujourd’hui, ça va mieux. La cagnotte de l’année passée a été extraordinaire en termes de soutien. (...) On sait que ça reste fragile. C’est pour beaucoup lié au contexte économique global, d’un côté à la perte de pouvoir d’achat des gens, qui voient à peu près tout augmenter depuis deux-trois ans dans des proportions assez incroyables. Ils vont privilégier leur loyer, leur alimentation, leurs déplacements, avant la culture, ce qui est normal. D’un autre côté, il y a l’augmentation du prix du livre qui pèse. 

Eric Schultz est catégorique. Pour lui, les gens ne lisent pas moins. C’est plutôt l’accès à la lecture et à la culture, par faute de moyens, qui pose problème. Une situation qui l’inquiète fortement, car la fermeture des petites librairies indépendantes ou la faillite des petites éditeurs pourraient entraîner un appauvrissement culturel global.  

Quant à la labellisation de Strasbourg, comme 'Capitale mondiale du livre’, le libraire regrette le manque de concertation de la ville avec les acteurs du monde du livre. Si l’opération inclut beaucoup les auteurs, les libraires et les éditeurs indépendants semblent avoir été oubliés, alors qu’un soutien municipal aurait été bienvenu dans un contexte de crise qui touche avant tout les plus petits de la chaîne du livre.

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