"Les vignerons n'ont pas eu toujours conscience qu'ils étaient à la tête d'un trésor envié du monde entier." Par l'exemple de son engagement et de son travail, Sylvain Pitiot est de ceux qui ont permis une prise de conscience. Pendant une vingtaine d'années il a revalorisé le prestigieux domaine du Clos de Tart, mais il a aussi œuvré pour l'inscription en 2015 des "Climats du vignoble de Bourgogne" à la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco. "Cela a pris sept ans, dans le but essentiellement de faire prendre conscience aux vignerons qu'ils étaient détenteurs d'un trésor et que ce trésor il fallait le conserver et le transmettre en bon état aux générations suivantes." Rencontre avec un passionné.
Classer un climat ? "La définition du mot climat n'est pas évidente, admet-il, comme le disait Bernard Pivot qui était l'un de nos soutiens essentiels, en Bourgogne, quand on parle de climat on ne regarde pas le ciel mais on regarde la terre." Ces fameuses parcelles de terrain, "délimitées, nommées, identifiées" depuis des siècles, avec chacune leur spécificité : des différences géologiques - un mélange d'argile et de calcaire dont les proportions sont à chaque fois différentes, des différences topographiques et aussi de températures. Sylvain Pitiot a gardé de son premier travail, ingénieur topographe, le goût de la précision. "Je suis un technicien, j'aime bien les choses précises."
Car il a beau être un vigneron de Bourgogne connu et reconnu, il a beau avoir écrit sur les vignobles de Bourgogne (notamment l'ouvrage "Climats et lieux-dits des grands vignobles de Bourgogne", éd. Monza, 2012), Sylvain Pitiot n'est pas issu d'une famille de vignerons. Né à Angers d'un père vétérinaire, il a découvert la vigne en accompagnant un camarade de classe aux vendanges - où il a rencontré sa future femme, Valérie Poupon - plus tard son beau-père Pierre Poupon l'aidera à cartographier la région. Sa reconversion n'a pas été facile, car les métiers de la vigne souvent sont éprouvants pour le corps. Mais "la passion" qu'il a gardée "du dessin et de la précision" lui a "beaucoup servie".
Quand il était régisseur du Clos de Tart, tous les matins Sylvain Pitiot allait saluer la Vierge de Tart. Et il semble d'autant plus attaché à cette terre que "tout ici est d'inspiration chrétienne, tout est imprégné par la chrétienté". À commencer par les vignobles, qui sont le fruit du travail des moines au XIIe siècle. Pour lui qui est croyant, c'est une joie de lire la Bible qui sans cesse nous parle du vin et de la vigne.
"Les psaumes qui parlent de la vigne sont merveilleux et nous donnent des manières de se conduire aussi bien dans notre vie quotidienne que notre vie personnelle." Quand il est dit qu'il faut "émonder la vigne" (c'est-à-dire couper les branches latérales pour favoriser sa croissance), "on a aussi beaucoup à s'émonder soi-même... d'autant plus que vous êtes dans des vignobles qui se portent bien, et qui se portent bien surtout économiquement, il faut être très très prudent de ne pas se laisser emporter par le succès et la richesse, osons le mot !"
Quand il est devenu régisseur du Clos de Tart, les propriétaires, la famille Mommessin, lui ont demandé de valoriser un domaine "un petit peu passé dans l'oubli". Une vingtaine d'années plus tard, mission plus que réussie. En 2017, le groupe Artemis, société d’investissement de la famille Pinault, rachète les sept hectares du Clos de Tart pour 250 millions d'euros. Le bilan est toutefois mitigé pour le vigneron. "J'ai participé à cette envolée des prix, parfois je le regrette aussi c'est un petit peu inconfortable, confie-t-il, finalement on finit par faire un produit qui n'est pas accessible aux gens qui nous entourent mais seulement à quelques uns." Une bouteille du Clos de Tart se vend en moyenne 450 euros.
Le monde des grands crus est-il devenu un monde de spéculation financière ? Comme l'a dit son ancien propriétaire Didier Mommessin, dans Le Bien Public : "Les vignes des grands crus n'ont plus de valeur commerciale ou marchande classique, on raisonne comme sur le marché de l'art." Un constat que partage Sylvain Pitiot. "Tous mes collègues et amis vignerons n'aimeraient pas peut-être entendre cela mais c'est vrai qu'il y a de la spéculation sur les grandes bouteilles, et comment pourrait-il ne pas y en avoir ?"
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