D'un côté un nombre croissant de Françaises et Français vivent une situation de précarité alimentaire, tandis que de l'autre, la possibilité pour les plus aisés d'accéder à des produits alimentaires sains et respectueux de l'environnement s'est développée. Entre ces deux réalités, est-il possible de parvenir à permettre à tous et toutes d'accéder à une alimentation saine et bonne pour la planète à un coût raisonnable et qui permette aux paysans de vivre de leur métier ?
Selon une étude du CREDOC parue en novembre 2022, 16% des Français déclarent ne pas toujours avoir à manger. La précarité alimentaire est en hausse dans un contexte de forte inflation. Les associations, à l’image des Restaurants du cœur, peinent à faire face à une demande croissante d’aide alimentaire. Mais pour Benjamin Sèze, journaliste, auteur du livre “Quand bien manger devient un luxe - En finir avec la précarité alimentaire”(Ed de L'Atelier), la crise actuelle où celle du Covid19 ne sont pas à elles seules responsables de l'avancée de la précarité alimentaire : "Au-delà de ces périodes de crise, le phénomène de précarité alimentaire n'a cessé d'augmenter ces 30 dernières années." explique-t-il.
Aujourd'hui, un couple au SMIC va à l'aide alimentaire, on en est là en France aujourd'hui.
Un constat confirmé par Boris Tavernier, fondateur et délégué général de VRAC, une association qui favorise le développement de groupements d'achats dans les quartiers populaires : "Tout le monde glisse vers la pauvreté, c'est assez désespérant. Aujourd'hui, un couple au SMIC va à l'aide alimentaire, on en est là en France aujourd'hui. Des personnes qui arrivaient à s'en sortir, à se nourrir convenablement en achetant des marques achètent désormais des premiers prix, et ceux qui achetaient déjà des premiers prix n'ont plus d'autre choix que l'aide alimentaire (...) Ce qui est certain c'est que ça se paupérise de plus en plus et qu'il y a cette angoisse de glisser encore plus vers la pauvreté". Benjamin Sèze confirme la diversité des personnes touchées par l'insécurité alimentaire : "Dans l'imaginaire collectif, longtemps, on a pensé que les personnes touchées par la précarité alimentaire étaient les personnes les plus marginalisées de notre société. Pendant le confinement, lorsque la question de l'alimentation est revenue dans le débat politique et sur la scène médiatique et qu'on s'est intéressé à ceux qui fréquentaient cette aide alimentaire, on s'est rendu compte que c'était Monsieur et Madame tout le monde. Une aide alimentaire qui concerne plusieurs millions de personnes, ça veut dire que ça concerne non plus seulement les plus exclus de notre société, mais aussi les étudiants de la classe moyenne, les petits retraités, les travailleurs précaires, les mères seules avec enfants, donc des personnes qui sont insérées socialement mais qui rencontrent des grosses difficultés financières et n'ont aujourd'hui d'autre choix que de recourir aux dons pour se nourrir".
Si le recours à l'aide alimentaire augmente, au point de provoquer l'impossibilité pour les associations d'y répondre totalement, 50% des personnes qui y auraient droit ne la demandent pas. Pour différentes raisons : la méconnaissance de leurs droits pour un certain nombre, mais aussi pour beaucoup de ces personnes, la honte ou la gêne. Et Boris Tavernier d'expliquer : "ils savent qu'ils vont avoir un panier de produits qu'ils n'ont pas forcément choisi et qui sont surtout les restes de ce que nous on n'a pas consommé. En termes d'image, c'est difficile de récupérer les poubelles de la société." Car les personnes touchées par la précarité alimentaire ne sont pas moins que les autres désireuses de consommer des aliments bons pour leur santé et pour la planète. Elles aimeraient aussi avoir accès à ce type de produits.
Alors la réponse à la question “Bien manger est-il un luxe ?” paraît évidente : c’est clairement oui. Et pourtant, des expériences existent, qui montrent que la réponse peut être non. Ces expériences pourraient être répliquées et étendues et certaines d'entre elles pourraient inspirer les politiques publiques. C'est ainsi, par exemple, que sont menées un peu partout en France, dans une trentaines de lieux, des expérimentation autour de l'idée de sécurité sociale alimentaire. De quoi s'agit-il ? Réponse de Boris Tavernier : "C'est rajouter une nouvelle branche à la sécurité sociale pour éviter que l'alimentation soit toujours la variable d'ajustement. C'est 150 euros par mois pour toutes les personnes qui vivent sur le territoire pour pouvoir se nourrir. Il y a trois piliers et le premier c'est l'universalité : sortir des politiques pour les pauvres, tout le monde aurait droit à ces 150 euros. Et d'ailleurs, quand on va chez le médecin, quels que soit nos revenus on est tous rembourser. Le deuxième pilier c'est la cotisation : chacun va payer selon ces moyens, il y a encore beaucoup de réflexions sur ce sujet, on peut imaginer que les entreprises puissent participer ou même l'Etat. Le troisième pilier qui est pour moi le plus intéressant c'est la question de la démocratie alimentaire : remettre les mangeurs et les mangeuses au centre de notre système et choisir localement ce qu'on fait avec ces 150 euros, vers quelle alimentation on va, quels produits et quels magasins on conventionne". Une trentaine d'expérimentations sont menées un peu partout en France, par exemple à Montpellier où "ça change les choses. "
Ces expérimentations travaillent à partir de comités citoyens incluant une diversité d'acteurs, y compris des personnes qui vivent la précarité alimentaire. Et c'est là une clé de la transition alimentaire pour Benjamin Sèze : "Ce qui est intéressant avec la sécurité sociale de l'alimentation c'est de réinclure les ménages précaires dans la société, sachant que la question de la transition alimentaire concerne tout le monde pour des enjeux écologiques et des enjeux de santé publique. Et le risque c'est qu'on aille vers ça en recréant des inégalités alimentaires si on ne prend pas en compte la réalité vécue par les ménages précaires".
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