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Enfance maltraitée : libérer la parole pour empêcher que des vies soient brisées

Un article rédigé par Anne Kerléo, Odile Riffaud - RCF, le 24 mai 2022 - Modifié le 21 juillet 2023
Vous avez dit fragile ?Enfance maltraitée: libérer la parole pour empêcher que des vies soient brisées

Comment accompagner les jeunes victimes de violence ? Comment recueillir leur parole ? À 18 ans, Emma Étienne a fondé l'association Speak, pour briser le tabou des violences infantiles. Son atout : la jeunesse de ses accompagnateurs qui permet de tisser des liens et de créer une relation de confiance pour libérer la parole. 

Enfant se cachant le visage. ©UnsplashEnfant se cachant le visage. ©Unsplash

Le combat d’Emma Étienne contre la maltraitance infantile

 

À 18 ans, elle a fondé Speak, une association dont la vocation est de libérer la parole des mineurs victimes de violences. La maltraitance infantile, Emma Étienne en a elle-même été victime. "Le jour de mes 18 ans j’ai créé l’asso pour faire quelque chose de ma vie !" Elle explique : "Quand on est quelqu’un qui a vécu des trucs, quand on s’est vu mourir, on a besoin de se sentir vivant après. Moi ma façon de me sentir vivante, c’est d’aider les autres."

 

À 20 ans, Emma Étienne est étudiante en lettres modernes. C’est la fondation des Apprentis d’Auteuil qui l’a aidée à s’en sortir. Et ça lui a "sauvé la vie", comme elle le dit elle-même. "J’ai eu beaucoup de chance dans mon malheur, confie-t-elle, le simple fait qu’ils m’aient fait confiance, ça a tout changé... Ça a fait que j’ai pu avoir assez confiance en la vie pour faire ça." Elle est aujourd’hui la présidente de l’association qu’elle a fondée.

 

Vous avez dit fragile ?EXTRAIT - Emma Étienne, fondatrice de l'association Speak à 18 ans

 

 

Il y a beaucoup de choses très maltraitantes dans le système de protection des enfants

 

 

Renouveler la protection de l’enfance 

 

Briser le tabou des violences infantiles, c’est l’objectif de Speak, qui veut dire "parler" en anglais. L’association veut aussi "renouveler ce qui se fait au niveau de la protection de l’enfance… pour que les jeunes ne soient plus juste des dossiers !" Sortir des cadres pour ne pas ajouter de la violence à la violence. "Il y a beaucoup de choses très maltraitantes dans le système quand même de protection des enfants, témoigne Emma Étienne, généralement le recueil de la parole des enfants c’est un truc hyper violent, on voit qu’un enfant ne va pas bien, on lui pose des tonnes de questions. Et parfois c’est beaucoup plus traumatisant que si on avait laissé le temps à l’enfant." Speak s’inspire des travaux de Marie Rose Moro, pédopsychiatre, pour qui recueillir la parole d’un enfant victime de violences doit se faire au rythme de l’enfant.

 

Très présente sur les réseaux sociaux, l'association basée à Dijon compte une trentaine de bénévoles. Son atout, c’est l’âge de ses accompagnateurs. "Le fait d’être jeune, ça veut dire qu’on a le même langage qu’eux, on a la même culture, on comprend un peu tout ce qu’ils peuvent nous dire", selon Claire, 24 ans, secrétaire bénévole chez Speak et étudiante en droit. Avoir des choses à partager permet de tisser un lien de confiance. Tôt ou tard, cela aidera le jeune à se confier.

 

Vous avez dit fragile ?EXTRAIT - Claire, bénévole de l'association Speak

 

Quand un jeune se confie : comment recueillir la parole de l’enfant ?

 

Emma, mais aussi Claire ou Clémentine ne sont ni éducatrices, juge ou psy… L’important c’est d’avoir une "posture d’empathie", selon la fondatrice de l’association. L’association Speak forme ses accompagnateurs bénévoles, notamment à l’accueil de la parole des jeunes. "Généralement, les choses qu'ils nous ont dites sont relativement graves, les jeunes aimeraient qu’on garde tout pour nous, et que ce soit une relation un peu fusionnelle qui se mette en place, sauf que ce n’est pas bon et ça n’est pas aider le jeune."

 

Avant d’accompagner le jeune dans une démarche de signalement, l'association se veut "très transparente" avec lui, précise Emma Étienne. "Pour l’instant, ceux qui ont révélé les trucs les plus graves ils les ont dit à moi. Ils me connaissant bien. Ils savent que je suis quelqu’un de tenace, ils savent que je ne vais pas les lâcher, que je serai là coûte que coûte et que je vais me démener pour que leur situation s’arrange. Quand ils nous parlent, ils savent qu’on va les aider par derrière. Les jeunes ne nous demandent pas de garder le silence, ils savent qu’on sera là et ça change tout en fait."

 

Vous avez dit fragile ?EXTRAIT 2 - Emma Étienne, fondatrice de l'association Speak à 18 ans

 

 

Protection de l’enfance : on est tous concernés

 

La procédure de signalement peut être lourde et peut se retourner contre l’enfant. Emma Étienne encourage chacun à être vigilant autour de soi : ça peut être un voisin, un membre de la famille... En France, un enfant sur cinq en serait victime, peut-être même plus… Si on hésite à agir, Emma Étienne conseille de se mettre à la place de l’enfant : "C’est un vrai enfer d’être victime de violence. Ça ne détruit pas des familles. Ce n’est pas le fait de signaler qui détruit la famille, c’est la famille qui réagit en s’autodétruisant."

 

La protection de l’enfance est "une question de société", rappelle Emma Étienne. Pour elle comme pour les bénévoles de Speak, tout est une question d’écoute et de regard : savoir se décentrer, avoir une "posture d’empathie". "Ce n’est pas parce qu’un jeune est bon à l’école mais qu’il a vécu des violences qu’il ne faut pas l’accompagner parce que ce n’est pas pour autant qu’il ne souffre pas… Il faut sortir des schémas où un jeune qui va mal c’est forcément un jeune qui va taper le gens ou qui va fumer de la drogue." L'association Speak encourage chacun à "sortir des tabous". "Oui les violences existent, et, oui, elles détruisent des vies pour de vrai. En parler, c’est la meilleure solution."

 

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