Engagé bénévolement dans l’action humanitaire depuis une trentaine d’années, le brestois Jacques Serba raconte cette aventure dans un livre. De son récit dans l’émission Commune conversion sur RCF, se dégage une conviction : l’action humanitaire ne peut être qu’un palliatif ou une façon de lancer l’alerte. Mais les réponses aux malheurs du monde doivent être politiques et apportées de manière concertée par les États. Et le meilleur reste toujours possible.
"Je traîne un stress post-traumatique depuis que je me suis rendu en Afrique, où j'ai été confronté à la mort et à la mort des enfants" confie Jacques Serba. Voir un enfant mourir dans ses bras l’a changé : "c’est un point de rupture que je n’avais pas imaginé" explique-t-il. Bien entendu, il savait que des enfants mouraient de faim, mais y être confronté réellement, c’est tout autre chose. C’est se confronter à la barbarie, au fait que des êtres humains sont responsables de cette tragédie : "je n’imaginais pas qu’un homme puisse faire ça" précise-t-il. Ce fut pour lui "un moment terrifiant". Avec à la clé la tentation de fuir, de quitter le terrain de l’humanitaire qui avait rejoint dans les années 90, en participant à la création de l'association brestoise Bretagne Croatie Bosnie-Herzégovine, avant de rejoindre Action contre la Faim, dont il fut un temps Président et dont il est aujourd'hui trésorier.
-> Entretien avec Jacques Serba sur RCF Finistère
Mais il n’a pas fui, il a continué. Parce que cette expérience traumatisante lui a aussi conféré "une responsabilité" explique-t-il : celle de continuer à agir et à croire que "le monde dans son ensemble n’est pas que comme ça". Pas de fuite, donc. Pas non plus de mise à distance. Par choix, en dépit de la souffrance : "peut-être que je n'ai pas voulu la gommer, parce que c'est cette souffrance qui m'anime encore dans mes combats", décrypte-t-il, avant d’ajouter : "je ne veux pas de distance, je veux que ça reste quelque chose qui anime ma vie, pour continuer à me mobiliser tout le temps." Et il fait, explique-t-il, "comme s’il était possible que la majorité des êtres vivent plutôt en paix que dans cette barbarie-là."
Lorsque l’Etat faillit ce sont les services publics qui faillissent. Je pense qu’avant la mobilisation des ONG il faudrait penser à la restauration des services publics
Un engagement indéfectible donc. D’abord au sein de l’ONG Bretagne Croatie Bosnie-Herzégovine dans les années 90, puis très vite à Action contre la Faim, dont il est encore aujourd’hui le trésorier. Et pourtant, il sait que l’action humanitaire est un palliatif : "dans tous les pays que j’ai visités, ce qui m’a le plus frappé, c’est que les crises étaient accentuées quand l’Etat ou les collectivités ont failli. Lorsque l’Etat faillit ce sont les services publics qui faillissent. Je pense qu’avant la mobilisation des ONG il faudrait penser à la restauration des services publics."
Lorsque Jacques Serba explique l’enchaînement des causes des malheurs du monde, on comprend que la réponse structurelle et durable à ces malheurs est forcément politique. "Il y a un sujet de partage, affirme-t-il : la première cause de la malnutrition ce n’est pas la guerre, c’est la pauvreté. Et la pauvreté c’est bien la répartition des richesses, donc la répartition des territoires. Donc c’est éminemment politique. Les ONG participent à réparer ce qui n’est pas pris en compte par la politique".
J'ai le souvenir d'une Une où il y avait une espèce de gavroche contre un mur à Belfast, et j'avais de la peine pour ce gosse (...) Je me suis dit : je vais aider les autres et je serai dans une organisation humanitaire
Alors pourquoi se lancer dans l’humanitaire si c’est une cautère sur une jambe de bois ? Un héritage sans doute, transmis par un père polonais, mineur de fer en Lorraine, militant CGT, et une mère bretonne catholique. "Je pense qu'au départ tout ça forme mon altruisme" témoigne Jacques Serba. Certains rêvaient d’être pompiers ou profs, lui se souvient précisément du moment où, quand il avait 12 ans, est née sa vocation d’humanitaire, sur fond de guerre en Irlande : "J'ai le souvenir d'une Une où il y avait une espèce de gavroche contre un mur à Belfast, et j'avais de la peine pour ce gosse. Et donc j'ai réalisé mon premier exposé, en cinquième je crois, sur la guerre." Au même moment, il entend parler de la création de Médecins sans frontières, en 1971 et se dit : "je vais aider les autres et je serai dans une organisation humanitaire."
Aujourd’hui jeune retraité, Jacques Serba continue d’enseigner, de faire de la recherche et de la formation. Et de s’investir dans l’humanitaire, à Action contre la Faim. Il écrit aussi. Et à la demande d’enseignants, après des témoignages devant des classes de lycées, il a publié un petit livre qui raconte son engagement humanitaire : Sur le terrain – L’action humanitaire à hauteur d’homme, aux Editions Le Parapluie jaune (2023). Et puis, il a un grand projet : faire bientôt un voyage à la rencontre de lui-même, cette rencontre "pas encore faite". Et d'expliquer : "je pense que j'ai toujours été suractif pour éviter de penser à moi et à ma peine".
Commune conversion, c'est le récit d'une conversion écologique et de ses conséquences: une femme, un homme, un couple, un groupe, une famille témoigne de sa prise de conscience, soudaine ou progressive, de l'urgence écologique et de la façon dont cela a changé sa vie. Ces témoignages, à la croisée de la lucidité sur l'état du monde et de l'espérance enracinée dans une mise en mouvement, dessinent le monde de demain.
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