La cinquième limite planétaire - celle de la pollution chimique - a été dépassée. Un nouveau marqueur de l'urgence écologique... Un de plus, pour Adrien Louandre, qui se demande à quoi cela sert d'alerter encore et toujours.
Le dépassement de la 5e limite planétaire ne m'inspire pas grand-chose. Très honnêtement. Ou plus exactement : plus grand-chose. En effet, lorsque vous êtes conscientisé à la catastrophe écologique, vous connaissez ses chiffres, ses alertes. Pourquoi cela me ferait-il plus d’effet que lorsque d’autres (surement les mêmes) milliers de scientifiques ont annoncé la chute de 60% de la biomasse en 40 ans ?
Il m’arrive d’en parler parfois avec des gens qui clament pourtant haut et fort "défendre la vie" mais cela ne leur pose que peu de problème de conscience de ne rien changer alors que celle-ci s’éteint. Le chrétien que je suis ne peut pourtant affirmer haut et fort que tout ce qui est présent sur cette Terre est un "Vestige d’amour du Dieu créateur" comme l’énonçaient jadis saint Augustin et saint Bonaventure notamment. Mais concrètement, qu’est-ce que cela change pour moi ? Pour vous ?
Si vous le saviez déjà, peu de choses donc. Cela ne fait que rajouter à mon éco-anxiété, et le divertissement, le houblon et quelques amis auront tôt fait d’extirper de mon cerveau cette horreur que je ne saurais voir. Avant la prochaine. Si je n’étais pas conscientisé… Est-ce vraiment cette information-là précisément qui va me faire changer alors que, selon toutes vraisemblances, tant d’autres m’ont déjà était annoncées ? Comme le disait déjà le grec Eschyle, « il n’y a que la souffrance vécue qui nous fait apprendre ». Oui, à mon sens, rien ne passera sans la mobilisation de nos émotions et de notre vécu. Cyril Dion dans « manifeste pour une résistance contemporaine » expliquait que si vous devez, par exemple, faire un aller-retour à New-York pour voir votre famille, cela coutera 3m² de banquise. Et alors ? Si j’ai besoin de voir ma famille, ce besoin légitime passe bien avant ces obscures bandes arctiques qui ne me concerneront jamais.
Bien sûr que non ! Au contraire, mais pas nécessairement pour "provoquer une prise de conscience". Soit, donc, celle-ci a déjà eu lieu, soit elle devra prendre autrement. Pour cela, les films ("Animal" de Cyril Dion encore lui, où à titre personnel des documentaires comme "Un jour sur Terre", ou "La Planète Blanche") m’avaient bien plus encouragés à défendre la biodiversité. L’intelligence collective promue par les fresques du climat, de la biodiversité, de la renaissance écologique et j’en passe, sont, à mon sens, bien plus mobilisateur. Dans l’action catholique, nous évoquons toujours le triptyque "voir-juger-agir". La question est donc de se servir de la science pour passer à l’action et non pour paralyser ou pire, provoquer une indifférence gênée.
À ce titre, le dernier livre de Bruno Latour, "Mémo sur la nouvelle classe écologique - Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même" (éd. La Découverte) me paraît être une bonne feuille de route. La science est un premier point, mais elle doit ensuite être complétée par un récit collectif, par des acteurs et actrices de terrains, par des rencontres, par du lien social. Les scientifiques jouent leur rôle, mais à nous de jouer le nôtre. Pour cela, encore une fois, la politique est un levier primordial. Encore une fois, il convient de faire des ponts et non de fous murs qui ne résoudraient rien. Le chrétien que je suis ne peut se résoudre, avec la science, qu’à la recherche inlassable de la Vérité, main dans la main. Il ne peut donc se résoudre qu’à l’action en prenant les problèmes à la racine, ni voir des populistes instrumentaliser sa religion pour en faire un argument de campagne et de haine, alors que par essence nous devons faire des ponts. Si seulement, en termes de pollutions, de migrations ou dans les Humanités, nous avions plus d’humilité.
Ah, si seulement nous écoutions les scientifiques pour nous mettre dans un ordre de marche, et non juste pour des effets de manche, le monde en serait changé. Pensez à quelque chose que vous chérissez. Chère auditeur, chère auditrice. Pensez à vos enfants. Pensez à vous-mêmes. Et crier. Avant que ce ne soit les pierres qui ne le fassent. Puis agissez. Enfin, si l’avenir de vos enfants compte suffisamment.
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