La beauté de la vie vue par un cerf-volant

Ce jour-là, une légère brise soufflait sur la petite ville balnéaire de Saint-Jean de Monts. S’engouffrant dans mes voiles, le vent jouait avec mes tentacules, leur donnant la grâce des algues dans la mer.
Tout comme elles, je me mouvais en harmonie avec les éléments. Et, si le rythme de celui avec lequel j’étais en dialogue avait la particularité d’être moins précis, moins sûr ou constant que les marées, c’était aussi cela qui faisait le sel de ma vie : la surprise, l'inattendu. 
Le peuple de la plage, minuscules formes aux contours flous, petites tâches colorées sur l’étendue ensablée m’espérait parfois si longtemps qu’il lui arrivait de m’oublier…
Mais, sur les cartes postales, les photos de vacances et les films aux embruns nostalgiques, je flotte inlassablement…

Fier cerf-volant ou plutôt méduse volante parmi les goélands. Je peuple les imaginaires et les rêves d’enfants. Un ruban, une corde, un fil entre Terre et ciel.
Une journée d’été ou de septembre ensoleillé, ma petite ombre jouant entre coquillages et crustacés. 
Mon regard explore et se pose quelques fois. 
Deux êtres à genoux dans le sable.
L’un, grand, chevelure grisonnante.
L’autre, petite et menue, chevelure dorée. 

Ils se concentrent, s’affairent. Tentent de manier les grains de sable par l’étreinte de leurs mains. Des petites tours s’élèvent comme pour se rapprocher de moi. 
Mais voilà que le vent tourne et que j’aperçois ces corps.
En pleine fusion avec le sol, ils tapissent l’étendue à la manière des algues échouées. L’eau monte déjà venant embrasser leurs extrémités. 
Mouvement brusque, tentative de fuite ou seraient-ils eux aussi seulement en grande conversation avec les vagues ? 

Méthodiquement, ils déplacent ce qui ressemble, vue de là-haut, à une cerf-viette. Coup de vent. C’est qu’on dirait qu’elle aussi se rêverait cerf-volant.
Vite rattrapée, plaquée au sol par l’un des représentants du peuple de la plage.

Notre rencontre devra attendre.
Un compagne de virevoltage supplémentaire ? 
Je n’aurais franchement pas dit non.
C’est qu’il y en a des choses, des formes et des directions à explorer.

Peuple de la plage, des airs ou de la mer, ce sont là 1000 vies, tentatives et épopées sauvages qui se déroulent dans un flot d’éternité…

Des premières fois, des fins et recommencements.
Chacun d’entre eux s’inscrivant dans quelque chose de plus grand.
L’Histoire de la Terre, longue et mystérieuse.
Le réconfort de la connaissance de son héritage. La mer est et restera la mer.
Le sable et le vent, s’ils parcourent le monde, resteront le sable et le vent.

Peut-être cette brise m’élevant a-t-elle déjà croisé un proche parent des décennies auparavant ? 

Des centaines de questions viennent animer cette douce contemplation, mais je perds lentement en altitude et avant de m’écraser au sol, je croise le temps d’un instant, le regard d’une bipède.

Elle trace des formes qui restent imprimées sur ce que l’on m’a dit être du papier.
Paisible, un sourire en coin, je fais le souhait d’avoir été à mon insu contemplé.

Finalement, ne serait-ce pas là la beauté de la vie…
Dans ces choses plus grandes qui nous articulent presque mécaniquement et qui suffisent à enivrer l’inconnue de la plage ?

Une brise, une vague, un soleil couchant…
Là sont les sources intarissables de l’émerveillement.