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Le covoiturage, outil pour un monde juste et durable ?

Un article rédigé par Anne Kerléo - RCF, le 16 janvier 2024 - Modifié le 17 janvier 2024
Je pense donc j'agisLe covoiturage, outil pour un monde juste et durable ?

Et si le covoiturage pouvait nous sortir de la morosité en ce début d'année ? Dans un monde où la paix, la fraternité, le respect du vivant et la construction d’un monde juste et durable paraissent bien éloignés, non pas forcément de nos préoccupations, mais de nos possibilités d’action, covoiturer ça peut être retrouver une marge de manœuvre, du pouvoir d'agir. Trouver de quoi avancer et espérer encore en l'avènement d'un monde juste et durable et contribuer à le construire.

Le partage d'un véhicule est une tradition plus ou moins ancrée selon les régions du monde (ici à Pingyao) © Wikipedia Le partage d'un véhicule est une tradition plus ou moins ancrée selon les régions du monde (ici à Pingyao) © Wikipedia

Une personne seule par voiture, des axes de circulation engorgés aux heures de pointe, un air pollué, des émission de CO2 très nocives pour le climat, des automobilistes stressés : c'est le tableau noir des déplacements domicile-travail au quotidien. Car en France, plus de 8 déplacements en voiture pour se rendre au travail sont effectués seul. Il est assez communément admis que cette situation n'est pas tenable et qu'il faut vite changer la donne. Et le covoiturage peut être l'une des réponses. 

Le covoiturage, une clé de la transition écologique des mobilités

Un peu plus de 100 millions de déplacements se font par jour en voiture, parmi lesquels quelques 900 000 trajets sont effectués en covoiturage, informel ou organisé (Source : Observatoire national du covoiturage au quotidien). C'est peu. Pour essayer de changer la donne, le gouvernement a lancé fin 2022 un plan covoiturage du quotidien, qui s'inscrit dans la suite d'un premier plan lancé en 2022. Selon le Ministère de la Transition écologique, "partager plus de trajets en voiture, donc développer le covoiturage, constitue un facteur indispensable à la réussite de la transition écologique en matière de mobilité".

Le plan fixe l'objectif ambitieux de 3 millions de trajets quotidiens à l’horizon 2027, ce qui "permettrait d’atteindre jusqu’à 4,5 millions de tonnes de CO2 annuels évitées, soit 1% des émissions de GES annuelles de la France". Le plan affiche aussi un objectif de réduction des dépenses de déplacement des travailleurs et travailleuses. Le plan contient 14 mesures, notamment une prime incitative de 100 € pour les nouveaux conducteurs, versée par les plateformes de covoiturage, un soutien financier aux covoitureurs en complément des collectivités sur le principe "1 € de l’État pour 1 € de la collectivité" et un soutien financier aux collectivités dans leurs projets de développement d’infrastructures de covoiturage (aires, lignes ou expérimentation de voies dédiées).

Les collectivités territoriales s'impliquent dans le développement du covoiturage

Car concrètement, sur le terrain, le développement du covoiturage passe forcément par les collectivités territoriales. Ce sont elles qui peuvent susciter et accompagner le développement de lignes régulières de covoiturage par exemple. Et selon Maris Huyghe, spécialiste des mobilités en milieu rural qui travaille avec les collectivités à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques de mobilité durable, "il y a un intérêt évident depuis de longues années pour le covoiturage. Ce qui est nouveau ces dernières années c'est que les collectivités prennent le sujet à bras le corps. De plus en plus on a des collectivités qui s'impliquent, soit en développant des voies réservées, soit en développant des aires de covoiturage, soit en mettant en place des incitations financières"

Le covoiturage c'est juste essayer de faire en sorte que nos voitures qui sont des espaces privés deviennent un nouveau transport en commun. 

Le covoiturage serait-il donc LA solution de mobilité durable ? Une partie de la solution très certainement, mais articulé avec d'autres formes de mobilité. "Développer le covoiturage entre 2 grosses métropoles n'a pas grand intérêt, explique Alix Le Goff, auteur d'une thèse sur le covoiturage du quotidien en région lyonnaise (dans le cadre du LAET, un laboratoire de recherche CNRS rattaché à Lyon II et spécialisé sur les questions de transports, mobilités et territoires, ancré principalement dans deux disciplines : l’économie et l’aménagement et urbanisme). Et il précise : "ce serait plutôt pour relier des villes peu denses à  un réseau métropolitain bien fourni en alternatives de transport". Pour lui, "l'absence d'alternative à la voiture est quelque chose de fondamental dans le développement du covoiturage, c'est même sa zone de pertinence du point de vue collectif : dans les zones très denses, on a des transports en commun, on a des alternatives à la voiture. Le covoiturage c'est juste essayer de faire en sorte que nos voitures qui sont des espaces privés deviennent un nouveau transport en commun".  

Questionner l'imaginaire de la voiture individuelle 

Et pour que le covoiturage devienne une vraie solution, il est nécessaire qu'il prenne plus d'ampleur. "Sur des zones rurales, explique Bénédicte Rozes, présidente de Mobicoop, la difficulté c'est d'arriver à cette fameuse masse critique, c'est d'arriver à mettre en relation des trajets qui sont concordants et quand vous avez des bassins d'emploi et de vie qui sont épars, c'est extrêmement compliqué". Et pour elle aussi, cela doit s'inscrire dans une réflexion plus globale : "ça suppose de questionner la mobilité et c'est du travail de longue haleine" précise-t-elle. 

Questionner la mobilité c'est peut-être avant tout questionner l'imaginaire de la voiture, très ancré dans les têtes et les habitudes des citoyens et citoyennes. Un imaginaire qui associe la voiture individuelle à la liberté. Un imaginaire difficile à déconstruire. C'est sans doute la raison pour laquelle, selon Marie Huygue, "toutes les personnes qui aujourd'hui se déplacent en voiture sans aucun problème ne réfléchissent pas à se tourner vers le covoiturage. Et c'est là où on a une difficulté"

Partager une voiture, c'est certes partager un trajet, mais c'est aussi des échanges. 

Et pourtant, pour Bénédicte Rozes, un autre récit peut exister autour d'un usage partagé de la voiture : "partager une voiture, c'est certes partager un trajet, mais c'est aussi des échanges, des discussions : on se livre dans une voiture. Il y a cette espèce de bulle propice à l'échange et ces trajets sont précieux parce qu'on est moins stressé, plus détendu, parce qu'il y a cette bonne humeur. Mais ça suppose de s'ouvrir à l'autre"

Covoiturer pour changer le monde ? 

Mais pour elle une chose est sûre : "la mobilité n'est pas un bien comme les autres". Et avec Mobicoop, Société coopérative d’intérêt collectif, dédiée au co-voiturage au stop et au transport solidaire,  elle veut être vigilante "à la marchandisation". Et elle explique : "le risque c'est qu'on ait des opérateurs privés qui captent le covoiturage sur les axes principaux et qu'on délaisse toute la périphérie parce qu'elle n'est pas rentable économiquement".  

Et si réfléchir à nos mobilités en ce début d'année 2024 c'était sortir de l'impuissance, ouvrir un horizon d'action possible ? Et si, commencer à covoiturer c'était entrer dans une forme d'espérance en actes ? Et si 'était un peu changer le monde ?

 

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