Stacy Algrain : "les arbres, ces autres vivants"

Qu’est-ce qu’une forêt ?

148 000 000 de résultats.
Ma requête était donc de celles auxquelles nombre d’autres humains avaient tenté de répondre. 
Plus ou moins rigoureusement, extensivement, amoureusement.

"Vaste étendue de terrain couverte d’arbres."
Six mots composaient cette première réponse issue d’un dictionnaire.

Robert avait fait le choix de l’efficacité. 
Trop pressé par cette myriade d’autres trucs à qualifier. 
Fortin, 
Foreur, 
Forfaire,
Forfait.

149 000 autres mots et expressions mis au garde à vous attendaient patiemment leur tour sur cette étagère sans fin qu’est internet. 

Wikipédia, grand manitou de l’empilement de connaissances, parlait lui "d’un écosystème, relativement étendu, constitué principalement d'un peuplement d'arbres, arbustes et arbrisseaux, ainsi que de l'ensemble des autres espèces qui lui sont associées et qui vivent en interaction au sein de ce milieu."

Soudainement, la vaste étendue couverte d’arbres prit vie. 
S’enrichissant de sens et de relations.

Quoi qu’encore bien pauvre face aux entrelacs de vies et aux fragments d’évolution que l’être en proie à l’émerveillement pourrait percer à jour.

Quels sont ces autres liens à explorer ?

Des centaines, des milliers, des millions de centres du monde. 
Pulsant au rythme de la vie s’écoulant dans les veines, les racines et les réseaux mycorhiziens, une forêt n’était pas seulement faite de bois trônant verticalement sur une terre. 

Myopie du siècle de n’y voir qu’un champ de poteaux. 
Racines et câbles n’ayant de comparable que cet élan évident de vouloir connecter. Des sociétés au réseau. Électrique ou symbiotique. 
Connexions fragiles devenues vitales.

3G, 4G ou la fibre ?
Parler plus vite, entendre plus loin. 
Sans fil et à nos poignets. 
Connexion vitale pour un monde déraciné. 

Profondément, ils s’enfoncent, puisent quelques ressources précieuses.
S’élèvent un peu plus haut pour faire danser leurs cimes.
Redonnent à la terre ce que la lumière leur a donné. 
Connexion vitale pour les siens, les autres. Alliés ou étrangers. 

Être le centre de son monde.
Vouloir grandir.
Survivre lorsque vivre devient dur.

Vouloir enfanter. 
Faire germer les fruits d’un long processus de sélection.

Avoir peur de disparaître. 
Sentir les anciens qui nous quittent. 
Élargir son réseau, tenter de trouver les ressources pour continuer. 
Attendre des jours meilleurs, peut-être le printemps. 
Espérer des lendemains qui chantent pour la prochaine génération. 

Voilà donc ce qui pourrait tout aussi bien être le rêve d’un chêne, d’un saule ou bien le vôtre. 

Les rêves d’êtres ne pouvant percevoir le monde qu’à leur façon singulière de vivants. 

Centres du monde, centres d’un monde, 
On ne ressent jamais qu’une réalité partielle, rendue possible par l'entrelacement des relations. 

Mais comme Richard Powers le disait avec poésie, n’oublions pas que "ce monde n’est pas notre monde avec des arbres dedans. C’est un monde d’arbres, où les hommes viennent tout juste d’arriver".