Faire une émission sur l’éco anxiété 36 heures après l’annonce des résultats des élections européennes et sur fond de crise politique ouverte par la dissolution de l’Assemblée nationale pouvait paraître étrange. Et pourtant, les éclairages apportés dans cette émission Je pense donc j'agis sur RCF, indiquent une connexion directe des deux sujets : l’urgence écologique, génératrice d’éco anxiété, devrait être le sujet central de la vie politique et de la recomposition à opérer.
"Les résultats [des élections européennes] m’ont mise dans un pic d’éco anxiété. Les scientifiques nous disent qu’on va droit dans le mur, que le réchauffement n’a jamais été aussi rapide qu’actuellement et qu’on va largement dépasser tous les seuils beaucoup plus vite que ce que l’on imaginait. Et en face de ça on a une réaction politique qui n’est pas du tout à la hauteur. Les résultats des élections européennes c’est quand même l’échelon au niveau duquel on pouvait espérer une vraie action". Ainsi s’exprime Irène Colonna d’Istria, directrice des programmes Transition juste à l’association Makesense, une organisation qui crée des outils et des programmes de mobilisation collective pour passer à l’action et construire une société inclusive et durable. Or parmi les personnes rencontrées par l’association, certaines "ne sont pas aptes à se mettre en action maintenant" parce qu’elles sont envahies par les émotions négatives créées par la situation écologique actuelle. Elles ont donc "besoin de trouver d’abord des espaces d’écoute et de déposer un peu ce qu’elles ressentent". Pour pouvoir ensuite "se reprojeter dans l’avenir".
Car pour Irène Colona, 28 ans, se définissant elle-même comme éco anxieuse, ce qui crée l’éco anxiété, c’est cette impossibilité de se projeter : "pour être un peu sain mentalement, il faut avoir la possibilité de se projeter dans l’avenir, de savoir qu’est-ce qu’on va faire dans une semaine, trois semaines, peut-être dans 3 ans". Et pour elle comme pour bien d’autres, la situation écologique et en particulier la crise climatique, rend cela très difficile. Elle témoigne : "j’ai 28 ans et je n’ai aucune idée de comment je vais pouvoir vivre quand j’aurai 30, 35 ans. Est-ce que je pourrai avoir des enfants de manière sereine ou pas, comment on va assurer notre sécurité… c’est l’inconnu complet en fait. C’est vraiment ces effets d’emballement qui peuvent avoir des conséquences dramatiques. On a déjà vécu le COVID et on voit l’ampleur des chocs qu’on va pouvoir subir. Donc comment se préparer à ça ? Comment se projeter dans l’avenir face à ces cataclysmes ?"
si on ne change pas nos habitudes, je ne vois pas d'avenir
A 23 ans, Maxence Dross-Denis, chef scout à Bordeaux, vit aussi cette difficulté à se projeter : "se projeter en toute honnêteté c’est compliqué. Pour moi, si on ne change pas nos habitudes, je ne vois pas d’avenir". L’éco anxiété qui l’habite, il la décèle aussi chez les guides et les scouts de 11 à 14 ans qu’il accompagne : "la plupart des jeunes que j’encadre ne mettent pas le mot éco anxiété sur ce qu’ils ressentent. Ils ont leurs propres termes, leurs propres façons de penser, de réagir vis-à-vis de ça. Il s’agit de décrypter ce qu’ils peuvent nous dire et avoir le recul d’adulte pour mettre le mot éco anxiété dessus". Ce que Maxence observe chez les jeunes scouts c’est qu’ils ne comprennent pas "pourquoi les efforts qu’ils font, les choses qu’on essaie de mettre en place n’ont pas de conséquences directes". Ce qui leur fait peur ? "Changer ses habitudes, bouger les lignes, voir les espèces qui disparaissent" répond Maxence. Et puis, un changement hautement symbolique pour des scouts : "on a beaucoup d’interdictions de feux. Ca paraît bête, mais un scout qui ne fait plus de feu, ce n’est pas quelque chose qu’on a dans notre imaginaire collectif !"
Les témoignage d’Irène et Maxence donnent une idée de ce qu’est l’éco anxiété. La psychologue Hélène Jalin, spécialiste du phénomène, en donne lé définition suivante : "c’est la prise de conscience émotionnelle et non pas juste théorique de la réalité du changement climatique". Si tout le monde a aujourd’hui connaissance de la réalité du changement climatique et de la crise de la biodiversité, les personnes éco anxieuses elles, vivent un choc, elles sont comme percutées par la réalité. Hélène Jalin explique qu’il s’agit souvent "d’une prise de conscience du jour au lendemain à la lecture d’un article, d’un livre ou quand on voit une conférence sur internet". Et voici comment elle décrit ce qui se passe ensuite pour les personnes qui vivent un tel choc : "on rentre dans une sphère un peu étrange, dans laquelle le monde entier nous devient incompréhensible. Il y a vraiment cet aspect incontrôlable, le fait qu’il n’y ait aucune prise sur ce qui est en train de se passer puisqu’à l’échelle individuelle, tout ce qu’on pourra faire ce sera de toutes façons infime".
Et c’est cette impuissance qui, chez une majorité de personnes, provoque le déni, le refus d’entrer dans cette conscience émotionnelle de la crise. Hélène Jalin explique que les personnes dans le déni "préfèrent rester dans leur petite vie quotidienne, sans aller sur ces terrains-là puisque, dans la mesure où c’est incontrôlable on ne peut pas y faire grand-chose et donc autant ne pas affronter le stress associé à ça". Un déni difficile à comprendre pour les personnes éco-anxieuses qui, elles, vivent dans la réalité. L’éco anxiété n’est donc pas une maladie. Ce serait plutôt l’inverse. Il existe cependant des personnes chez qui l’éco anxiété vient se superposer et majorer une base anxieuse déjà présente, qui elle peut être pathologique.
Alors comment sortir de l’éco anxiété ? Si ce n’est pas une maladie, on ne peut pas la soigner. Selon Hélène Jalin, la personne éco anxieuse doit apprendre à vivre avec, "parce qu’elle ne peut pas disparaître dans le contexte actuel". Et d’argumenter : "la crise est telle et ne fait que s’accentuer qu’on ne peut qu’apprendre à vivre avec son éco anxiété". Pour elle, il s’agit d’un travail de deuil. Et au bout, il peut y avoir de la joie. A condition de ne pas rester seul. Et de passer à l’action. Et elle affirme : "on peut apprendre plein de choses sur soi-même, apprendre à profiter davantage de l’instant présent, reconfigurer des valeurs qui sont de plus aller vers les autres, se faire du bien par le contact avec la nature, apprendre à déconsommer et quand on déconsomme on retrouve beaucoup de joie en général… Et donc la vie peut être paradoxalement beaucoup plus agréable avec l’écoanxiété".
Mais la joie n’est jamais acquise et toujours mise en péril par des violences de divers ordres. La violence de la crise écologique d’abord, qui vient percuter les personnes éco anxieuses. Puis celle du déficit d’action et du découragement vécu par les jeunes scouts accompagnés par Maxence Dross-Denis, confrontés au peu d’impact de leur engagement sur la situation globale d’urgence écologique. Violence de l’impuissance face à l’ampleur du changement à accomplir, comme l’explique Irène Colonna : "on a un peu une vision de la fin du monde où on va devoir repenser complètement notre contrat social, la manière dont on vit. Et du coup il y a aussi un écart entre les générations. La génération de mes parents, on leur a dit toute leur vie : tu vas avoir un job, gagner de l’argent, faire une famille et bien vivre. Et après on leur dit : tu as monté tous les échelons et tu dois tout recommencer à zéro, tu avais tout faux et en plus c’est de ta faute. C’est hyper violent pour eux et ça peut créer une forme de déni et de rejet".
c’est très stressant de voir que quand on essaie de s’opposer à la destruction de notre monde on se fait réprimer très violemment
Hélène Jalin souligne une autre violence, particulièrement présente en France selon elle : la criminalisation de certains mouvements militants écologistes. Et pour elle ce phénomène est dangereux parce qu’il risque de provoquer chez "des personnes qui regardent ça de loin" l’assimilation automatique "des mouvements violents aux partis écologistes". Criminalisation donc. Violence policière à l’encontre des militants écologistes dénonce Irène Colonna qui déclare l’avoir subie personnellement et connaître "beaucoup de personnes" qui l’ont subie. Et elle témoigne : "c’est très stressant de voir que quand on essaie de s’opposer à la destruction de notre monde on se fait réprimer très violemment. Et on a besoin de montrer qu’on est des gens qui réfléchissent, on n’est pas des terroristes, on a envie de créer de la cohésion, un monde désirable, mais on n’a pas les moyens aujourd’hui."
on ne lâchera rien jusqu’au bout, on sera là et on se donne de la force
Alors comment, en dépit de cette violence aux multiples facettes, vivre avec l’éco anxiété ? Comment croire encore en un avenir possible ? Ce sont les jeunes scouts qui l’accompagnent qui donnent à Maxence Dross-Denis la force d’y croire : "pour moi la meilleure manière de transitionner c’est que ça vienne des jeunes, c’est qu’ils soient éduqués, formés sur ces sujets. Et au fur et à mesure qu’ils vont prendre de l’âge, l’intégralité des personnes seront au courant de ces choses-là et on sera en capacité de bouger les lignes". Et cette perspective lui donne des raisons d’espérer encore : "voir qu’à ma petite échelle j’ai cette possibilité de faire grandir les jeunes et donc la société dans son ensemble me permet de me dire que tout n’est peut-être pas perdu". Irène Colonna, elle, invite à lire "Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce" de Corinne Morel-Darleux : "je pense que si on coule, autant couler en beauté. Donc ce qui me donne de l’énergie et de la joie au quotidien c’est le fait d’être avec des gens qui y croient, qui croient qu’on peut faire autrement et qui refusent, quand bien-même l’extrême-droite fait 40% aux européennes, quand bien même on nous annonce peut-être jusqu’à 230 sièges RN à l’Assemblée nationale –je ne sais pas si on se rend bien compte de l’état de notre pays- de se dire : on ne lâchera rien jusqu’au bout, on sera là et on se donne de la force".
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