Stacy Algrain propose un regard décalé sur la COP 28. Pour elle, ce qui s'y joue témoigne de "l'agonie malheureuse de ceux qui se rêvaient maîtres et possesseurs." Et qui "rappelés brutalement à leur humanité par les contraintes physiques d’un monde fini", "se débattent." Elle constate "l’impossible transformation de notre avenir commun en aube de lumière en partage." L'Arche de Noé a bien changé dit-elle. Et "Noé est devenu banquier."
Claustrophobia.
Peur des espaces confinés, des lieux clos, des petites pièces et de l'enfermement. Esprits fragmentés, pris en étau. Idées courtes pour imaginaires amputés.
Coupés de leur grandeur passée, affaiblis comme un corps qui se traînerait au sol.
Agonie malheureuse de ceux qui se rêvaient maîtres et possesseurs.
Rappelés brutalement à leur humanité par les contraintes physiques d’un monde fini. Ils se débattent. Oh oui, dans cette minuscule boîte, ils se débattent à la manière d’une truite que l’on aurait extirpée de l’eau.
Les malheureux se sont fait hameçonner par leur propre reflet.
Ce même reflet charmeur et trompeur qui condamna Narcisse à vivre d’amour pour lui-même et à en mourir.
Mourir par amour.
C’est là pourtant ce que les plus grandes tragédies nous ont vendu comme l’accomplissement d’un être. À cela près que nous n’étions pas censés être nos propres muses. Les yeux rieurs, les mains délicates et les bouches charnues n’avaient-ils pas été inventés pour se faire les centres de gravité de nos passions ?
Les créatures des abysses, les cimes timides traversées par le bruissement du vent et le murmure des oiseaux dans le ciel ne sont-ils pas preuves suffisantes du mystère de la vie ? De ces mystères créés pour perdurer, traverser les âges et résister à nos tentatives arrogantes de les percer à jour.
Et de percer justement, c’est de cela dont il s’agirait.
Percez-la donc cette boîte noire dans laquelle nous nous sommes enfermés, faîtes entrer un peu de clarté.
Évidemment, je le sais.
Il est aisé de se lover confortablement contre les cloisons lisses de notre monde-armoire. Puisque l’on a appris à y faire rentrer des montagnes et des pistes de ski. Puisque toute la richesse des océans, leurs couleurs et leurs vies, s’observent aisément au travers de parois de verre. Des ailleurs projetés en 4K, des futurs produits par des intelligences d’un autre règne. Artificiel.
Notre passé, lui aussi à la solde des nouveaux demi-dieux.
Plus effrayant et sombre que tous les mondes animés de Tim Burton.
Nous voilà face à un Andrey Melnichenko aux mains d’argent, découpant et raccommodant les ADN, voulant faire apparaître dans les contrées du 21ème siècle un pachyderme hybride disparu il y a 4000 ans.
Une stratégie quelque peu surprenante, mais pas si bête au regard du mammouth dans la pièce de cette COP28. Ce géant dont on n’ose pas parler, c'est la contraction de notre espace-temps.
Boîte ou trou noir. L’impossible transformation de notre avenir commun en aube de lumière en partage.
Si le brave Stephen Hawking était toujours des nôtres peut-être aurait-il eu une théorie sur cet échauffement de cerveau en grande pompe… Aspirant les énergies, décontractant les égos au point de faire glisser progressivement les masques. De ces masques qui trouvent leur utilité dans les négociations féroces et les mers agitées. Les lobbyistes et les dirigeants traîtres tels des poissons dans l’eau.
Le niveau monte.
On boit la tasse.
Ravaler sa fierté, un peu ses ambitions.
Mais je me demande.
Qu’aurait dit Noé en voyant notre arche ?
2 456 lobbyistes de l’industrie fossile contre 316 représentants des peuples indigènes.
Plus de jets privés que de femmes dirigeantes.
Peu de roseaux, beaucoup de bitume.
Pour les accords comme pour les arches, les mots comptent.
Construire demain, donner une chance à la vie.
C’était un beau projet, rempli de poésie et d’humanité.
Et nous voilà déçus.
Aucun mépris, aucun jugement.
L’Arche a bien changé, elle n’est pas la seule.
À quoi d’autre s’attendre lorsque l’on joue avec les règles, les transgressant toutes.
Non, rien de surprenant.
Après tout, Noé aussi a changé.
Il est devenu banquier.
Jeunes de la "génération climat", Alexandre Poidatz et Stacy Algrain livrent en alternance, chaque semaine, leur regard sur l'écologie et leurs clés pour changer le monde.
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