Pour inventer un monde compatible avec les limites planétaires, Stacy Algrain invite à renouer avec le rêve, perdu au sortir de l'enfance : "Réveillez les monstres qui somnolent sous les lits, dites aux poètes, aux conteurs et aux parents de relancer la machine à écrire."
Une petite fille dans son lit une place. De grands yeux bleus, chevelure dorée. Aucun doute, c’est bien moi. Je reconnais la tapisserie et ses petites poupées aux joues rosées, la lumière orangée et les étoiles qui s’allument dans la nuit collées au plafond.
Minuscule corps entouré par quelques dizaines d’animaux en peluche, l’heure du coucher est arrivée. Sûre de mon coup, sourire espiègle, je demande une dernière histoire.
Mais si tu sais ! Celle du livre offert par papy avant même ma naissance.
Dans ces histoires, les adultes n’existent pas.
D’ailleurs, pas plus que les tours de la Défense ou les impôts, mais pas sûr que cette petite fille du début des années 2000 n'ait encore appris leur existence. Promis, je lui dirais plus tard.
Oui, si je ferme les yeux, je jurerais avoir encore 8 ans et entendre la voix grave de mon père me souhaitant de “faire de beaux rêves”.
Un baiser sur mon front, des paupières qui se ferment.
Mais, le réveil est brutal.
Cette ère est révolue…
Vouloir redevenir enfant. Insouciance et légèreté.
Créativité sans borne.
Fascinant de se remémorer un temps où la noirceur de la nuit a tantôt pu être le théâtre de mes plus grandes terreurs et de mes plus belles aventures.
Suspendu au-dessus de ma commode, le miroir ne me parlait plus de moi.
C’était une autre, des autres, qui vivaient 1000 vies au rythme des secondes s’égrainant sur mon visage d’enfant.
Je voulais être eux.
Partir à l’aventure.
Grandir.
Voir la croissance transformer ma silhouette enfantine en un corps de grand.
Libre de voir le monde.
Libre de ne plus dormir.
De mes souhaits, tous exaucés, ne reste de la liberté que des carnets griffonnés, des images découpées et de belles citations.
Oui, je suis bien libre de ne plus voir le monde que par les rêves des autres.
Mes jours et mes nuits pris en otages.
Les images d’étendues sauvages entassées dans un coin de ma mémoire,
Écrasées par le poids des attentes,
Soumises par des rêves de papier-mâchés,
Portes étendards des marchands de sable.
On souffle dans mes yeux, je cède encore un peu…
Pourtant, je ne rêve plus.
J’ai 26 ans, 60 autres à venir, mais je ne rêve plus.
Calmes et tristement silencieuses, mes nuits ne sont plus habitées de mondes et de couleurs.
Malgré les réverbères, l’obscurité règne.
Et, l’appel à explorer des heures tardives s’est lentement tu.
Bâillonnés par les serviteurs de la croissance,
Les rêves n’étaient-ils pas censés être le carburant des plumes et des inventeurs de notre monde ?
Toujours plus, toujours plus,
Ce ne sont pourtant que les appétits et les voitures qui ont grandi.
De nos utopies et de nos grands projets,
Ne restent qu’un prêt à la consommation.
Un SUV dans l’allée, des placards qui débordent.
//Mais c’est l’heure du grand ménage.
Réveillez les monstres qui somnolent sous les lits,
Dites aux poètes, aux conteurs et aux parents de relancer la machine à écrire.
Une nouvelle ère commence,
Et nous arrivons pour libérer le royaume des nuits.
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