Rita Fenendael, béguinages d’hier et d’aujourd’hui

Proto-béguine

Rite Fenendael se définit comme une proto-béguine, soit une béguine dans l’esprit des débuts vers 1200, donc un peu sauvage et attachée au Christ. A ce moment, il y a un basculement de civilisation, avec d’une part l’essor des villes avec le développement du monde marchand et d’autre part une espèce d’explosion des mouvements spirituels. Par son ampleur, le passage du latin aux langues vernaculaires dans les actes de la pratique doit être considéré comme un phénomène majeur de l’histoire médiévale. L’épicentre est dans la principauté de Liège autour de Lambert le Bègue mais le phénomène s’étend à Huy, Oignies et Nivelles. Certains pensent que le mot béguine est dérivé de l’habit beige, vêtement du pauvre. Il y a alors un renouveau illustré par une liberté et une grande ouverture voire des excès, en mendiant parfois nues à la suite du Christ. L’Eglise prend l’initiative de les recadrer. 

S’en suit le mouvement béguinal, avec des regroupements dans des enclos comme en Flandres. Ces enclos ont été favorisés par des privilèges et des moyens financiers accordés par les comtesses de Flandres et le duc de Brabant. En quelque sorte, les béguines se rassemblent, s’assagissent et développent une vie fraternelle, se soutenant matériellement et spirituellement. Il s’agit de communautés religieuses laïques de femmes, le plus souvent célibataires ou veuves. Treize de ces couvents de femmes figurent sur la liste du patrimoine de l’Unesco.

En quelques sortes, les proto-béguines étaient des “fols-en-Christ”, autrement dit des personnes qui abandonnent leurs biens matériels et mènent une vie de transgression des conventions sociales dans un esprit religieux. Evoquant son enfance, Rita Fenendael se souvient de son intérêt pour Tarzan et le guépard durant son enfance. Il était un peu sauvage, comme les premières béguines et comme elle se qualifie elle-même.

Marguerite Porète

Professeur de langues germaniques, philosophe et théologienne, Rita Fenendael a lu beaucoup d’oeuvres originales en langue originale, comme les oeuvres majeures d’Hadewijch d'Anvers. Elle est inspirée par la béguine mystique et poétesse Marguerite Porète, brûlée tragiquement en 1310 pour hérésie sous Philippe le Bel mais aujourd’hui largement restaurée et de plus en plus populaire. “Elle était tellement brûlée par l’esprit qu’il ne fallait plus que brûler son corps”, dit Rita Fenendael. Elle avait écrit “Le Miroir des âmes simples anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour”, ouvrage médiéval du XIIIe siècle (1295), le plus ancien texte mystique connu en langue française. Elle y traite du fonctionnement de l'Amour divin. Dans les sept phases de « l'anéantissement » l'âme parcourt, par amour, le chemin de son unité avec Dieu. On y lit textuellement les propositions condamnées par le Concile de Vienne sous le nom d'« erreur des bégards et des béguines », la plus ancienne décision du magistère sur le problème de la mystique. On vérifie alors qu'elles s'inspirent d'un mouvement du « libre esprit », maintes fois dénoncé au XIe s. Mais en les remettant dans leur contexte, on s'aperçoit aussi qu'elles sont susceptibles d'une interprétation largement orthodoxe. On découvre encore que cet ouvrage, presque immédiatement traduit en latin, en anglais et en italien, a profondément influencé toute la mystique occidentale. 

L'ouvrage reprend le vocabulaire de l'amour courtois en l'appliquant à Dieu. Son objet consiste à montrer que l'âme s'unit à Dieu lorsqu'elle s'anéantit en renonçant à toute volonté propre. Elle s'affranchit ainsi de tout esclavage du péché, mais aussi des œuvres bonnes et des vertus qui en sont le salaire. C'est l'amour qui « œuvre en elle sans elle » (ch. 7). Elle se livre alors à la contemplation amoureuse, dans l'esprit de la mystique nuptiale d'inspiration cistercienne. 

Le Miroir a été approuvé entre 1296 et 1309 par deux docteurs, dont Godefroid de Fontaines, thomiste indépendant de l'Université de Paris. Mais le livre a rencontré de fortes oppositions de la part des évêques des diocèses où elle prêche et a été condamné par l’inquisition, notamment pour la proposition suivante parmi quinze autres. « Que l'âme anéantie donne congé aux vertus, et qu'il n'y a plus en elle de servitude envers elles, parce qu'elle n'en fait pas usage, et que les vertus lui obéissent à discrétion» (Miroir, ch. 21). Le Concile de Vienne condamna aussi l'idée « que l'on ne soit pas obligé d'obéir aux préceptes de l'Eglise» (prop. 3).

Depuis, ce livre qui soutient des thèses proches de celles qu'élaboreront ensuite Maître Eckhart et la mystique rhénane, est, de plus en plus, considéré comme l'une des œuvres majeures de la littérature médiévale. Marguerite Porete, aux côtés de Mathilde de Magdebourg et Hadewijch d'Anvers, reflète un modèle de l'amour mystique et spirituel, rattachable au mouvement des béguines.

Le mouvement béguinal s’illustre par une grande souplesse à travers les siècles. A Nivelles, au début du XIXe siècle, sensibles à la détresse morale et intellectuelle des milieux populaires de leur temps, les dernières béguines ont par exemple créé le célèbre Institut de “Enfant-Jésus” qui compte aussi les écoles maternelle et primaire du Béguinage situées 1, rue du Béguinage à Nivelles.

Le Centre d’Interprétation du Proto-Béguinisme d’Oignies

Pour mieux comprendre le protobéguinisme, il est intéressant de visiter le prieuré d’Oignies, son protobéguinage et sa protobéguine Marie d’Oignies. Le Centre d’Interprétation du Proto-Béguinisme d’Oignies (CIPO) est situé entre Charleroi et Namur à Aiseau-Presle, Belgique. C‘est un projet unique qui explique les origines du béguinisme. Trois noms prestigieux sont associés à Oignies: Marie d’Oignies, d’origine de Nivelles, rejoignit le béguinage en 1207 et deviendra sainte. Jacques de Vitry, brillant théologien et futur cardinal influent est venu lui à Oignies, séduit par la sagesse spirituelle de Marie. Pour finir, le frère Hugo d’Oignies (un des quatre frères fondateurs du prieuré) a réalisé le trésor.

A l’instar des proto-béguines, Rita Fenendael répète qu’elle a le feu - de l’Evangile - en elle et que sa vocation est de le propager.
 

Les 13 béguinages flamands classés par l’Unesco

Les béguinages flamands de l’Unesco sont une série de 13 sites dans la région des Flandres en Belgique. Ils constituent un témoignage extraordinaire de la tradition culturelle des béguines, qui s’est développée dans le nord-ouest de l’Europe au Moyen-âge.

Les béguinages flamands formaient des ensembles architecturaux, entourés d’un mur d’enceinte ou de fossés, dont les portes étaient ouvertes sur le monde extérieur la journée. À l’intérieur, ils se composaient de maisons, églises, bâtiments auxiliaires et espaces verts organisés en une conception spatiale d’origine urbaine ou rurale, et construits dans des styles spécifiques à la région culturelle flamande.

Il ne reste aucune construction entière du Moyen- ge, en dehors de certaines églises. Les premières maisons béguines ont été remplacées, par ordonnance municipale, par des édifices en briques ou pierres aux XVIe et plus particulièrement au XVIIe siècles, même s’ils ont généralement suivi la disposition et la superficie originales. Au XVIIe siècle, le nombre croissant de béguines imposa de nouvelles constructions dans les espaces initialement disponibles. Au XVIIIe siècle, le nombre de béguines déclina et les maisons furent démolies. De nouvelles maisons ou bâtiments furent ajoutés dans certains béguinages aux XIXe et XXe siècles.

Voici les 13 béguinages inscrits à l’Unesco:

• Beguinages de type urbain : Diest, Lier, Kortrijk/Cortrai, Groot Begijnhof in Mechelen/Malines, Sint-Amandsberg (Groot Begijnhof of Nieuw Begijnhof Sint-Elisabeth) en Tongeren/Tongres
• Béguinages de type plein : Brugge/Bruges, Dendermonde, Hoogstraten, Sint-Truiden/Saint-Trond en Turnhout
• Béguinages mélangés: Klein Begijnhof van Gent/Gand en Groot Begijnhof van Leuven/Louvain.
   

Le succès actuel des béguinages

Rita Fenendael observe le vif regain d’intérêt pour les habitats groupés se qualifiant de béguinages. Elle explique que le terme “béguinage” est très discuté aujourd’hui. Pour elle, c’est un habitat groupé avec la spiritualité chrétienne comme colonne vertébrale. Le charisme béguinal est ouvert à tous et chacun y boit selon sa soif : spirituel, patrimonial, social, architectural. Le mouvement béguinal est né de façon sauvage, il n’y avait pas règle commune. Aujourd’hui, elle pense que l’appellation de béguinage doit rester fidèle à la réalité historique et avoir des racines chrétiennes. Un habitat groupé non centré sur l’Evangile peut porter une autre appellation beaucoup plus claire.

Quelques conseils pour une bonne vie béguinale

Rite Fenendael a visité de nombreux béguinages et habitats groupés. Elle pense qu’une charte est indispensable et doit régir les principes généraux de vie, dont le rythme des rencontres, prières, repas et travaux communautaires. Ce texte vit et évolue en fonction du vécu. Il est important de déterminer un bon modèle béguinal, idéalement avec un modèle locatif. En effet, la co-propriété n’est pas optimale car en cas de succession, il peut y avoir des affaires d’argent et de valorisation par les héritiers, d’où un risque de perte de l’essence chrétienne du projet. Comme les béguines du début, il est important que chaque membre s’assure une autonomie financière, par exemple par un travail dans le monde.

Au niveau des choses à éviter, il y a trois grands lieux de perdition dans la ligne de la patristique : l’argent, le pouvoir et le sexe, c’est à dire la faculté d’utiliser la personne pour son propre besoin. “Il faut éviter d’avoir des potes qui font la popote entre potes” dit-elle. « Il est opportun d’avoir un tiers externe, non résident, neutre et compétent, de même qu’un médiateur défini dans les statuts ou la charte ».

En France, Thierry Predignac a lancé avec des associés un concept d’habitat groupé solidaire et autonome pour seniors, loin des propositions classiques de résidence pour personnes âgées: le groupe Vivr’Alliance ou « vivre en béguinage ». A côté d’habitats non centrés sur des valeurs chrétiennes, ils développent les « maisons d’alliance » autour de monastères, là où des laïcs soutiennent les religieux dans leur vocation propre et vice versa. « Le béguinage doit être un lieu de projet, respectueux des décisions démocratiques, ouvert sur le monde et les valeurs de la foi, mais ne devant en aucun cas « être considéré comme un couvent, un ghetto ni une séniorie ».

En Belgique, le béguinage de Lauzelle à Louvain-la-Neuve a ouvert en 1995. La Viale Europe à Bruxelles, le béguinage de Béthel à Bruxelles aussi, puis le Béguinage de Cornillon à Liège, ouvrent de nouvelles voies du vivre ensemble dans l’esprit des béguinages initiaux, c’est-à-dire centrés sur Jésus-Christ.
 

Sources d’inspiration

Rita Fenendael apprécie le film “The miracle worker” qui raconte l’histoire d’une jeune femme, Annie Sullivan. Elle tente d'aider une petite fille sourde, aveugle et muette. Elle va essayer d'établir un contact avec elle et de la sortir de sa solitude. Ce film illustre bien l’axe symbolique, concept de psychanalyse qui inscrit le rapport du sujet à l'Autre. Elle est marquée par le roman “Le Christ recrucifié” de l'écrivain grec Níkos Kazantzákis. Le récit relate la préparation de la Passion du Christ par les habitants du village de Lycovrissi, en Anatolie, sous l'Empire ottoman. Elle est sensibilisée par la thématique du sang du Christ, du don de sa vie. Elle va quitter le béguinage de Lauzelle à Louvain-la-Neuve pour aller habiter à Bruges. Une de ses multiples motivations, outre le fait de rejoindre un centre très progressiste et ouvert à l’art sacré contemporain, est de se rapprocher de la célèbre relique du Saint-Sang. Elle recherche plus de solitude dans une vie du milieu, entre le cloître et le monde.

Le texte-clé de la vie de Rita Fenendael est tirée de l’Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 11, 28-30: “En ce temps-là, Jésus prit la parole : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.” Elle apprécie la liberté du Christ, son courage, son audace, jusqu’à le payer de sa propre vie. Elle a reçu ce texte lors de sa conversion durant sa jeunesse à Leuven dans un groupe oeucuménique.

Pour aller plus loin:

Nouveaux Béguinages chrétiens en Belgique:

La Viale Europe et le béguinage du viaduc à Bruxelles https://www.laviale.be
Béguinage de sainte Julienne du Mont-Cornillon à Liège : https://www.saintejulienne.org
Béguinage de Béthel à Saint-Josse-Ten-Noode: https://www.lescoteaux.be/communautes-religieuses/srs-dominicaines-missionnaires 

Béguinage de la Lauzelle à Louvain-la-Neuve, qui a récemment retiré sa référence explicite au christianisme.

En projet:
Béguinage sainte Barbe dans le Condroz liégeois : https://demeuresetlieux.wixsite.com/beguinage-ste-barbe

Articles et sites de référence :

https://beguines.info

https://whc.unesco.org/fr/list/855/

http://www.maisonjeannedelava.be/spip.php?article15

https://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/Rita-Fenendael-Les-beguinages-lieux-de-radicalite-evangelique-et-d-audace-theologique-_NP_-2012-06-08-816119

https://www.cathobel.be/2022/09/beguine-et-professeure-rita-fenendael-vous-invite-a-la-decouverte-des-beguinages-dhier-et-daujourdhui/