Comment étudier et mener une vie de famille ? Que l'on soit tout jeune étudiant, ou que l'on décide d'obtenir un diplôme à 40 ans, revenir sur les bancs de l'université n'est pas sans difficulté. Surtout pour les femmes enceintes, qui doivent trouver un équilibre entre études, grossesse et vie familiale.
En France, près de 5% des étudiants sont concernés par la parentalité pendant les études. Certains sont jeunes, fraîchement arrivés sur les bancs de l’université. D’autres reprennent volontairement leurs études pour se réorienter. Dans les deux cas, ils ne sont pas des étudiants comme les autres, et vivent à la marge de la vie associative, de l’intégration étudiante ou de la vie festive propre aux études supérieures.
"La grossesse pendant les études touche une population très hétérogène". Maître de conférence en sociologie à l'université de Tours, Aden Gaide a soutenu en 2020 une thèse sur "Les étudiant-e-s parents. Enquête sur la norme de jeunesse dans l’enseignement supérieur français". Son enquête lui permet d’établir deux configurations quant à la grossesse. "Soit c’est une surprise pas bien vécue, on envisage l’avortement, on l’annonce aux parents qui finissent par apporter un soutien et qui permet d’entrer en parentalité. Soit il s’agit d’une parentalité choisie et donc mieux vécue". Le sociologue estime que l’enfant est "parfois une motivation pour aller jusqu’au bout et pouvoir offrir de meilleures conditions de vie".
Michel Younès, nouveau doyen de la Faculté de Théologie de Lyon, pointe du doigt le modèle particulier français : "on a un mythe de la précocité : il faut faire ses études vite et tôt, parce qu’elles permettent de se placer définitivement dans une catégorie socio-professionnelle". Cette tendance s’accompagne d’un désir d’autonomisation, accéléré en cas de grossesse. Il faut alors concilier les responsabilités de la parentalité, le côté financier et matériel, et les études. "C’est une autre dynamique", ajoute Aden Gaide.
"L’enfant perturbe, certes, mais il n’est pas une entrave". S’il reconnaît qu’être parent et étudiant est une "pression financière et sociale", Michel Younès insiste sur l’importance du lien. "On voit le désastre quand il y a un rejet. Remettre du lien au sein de la famille permet de prendre collectivement cette responsabilité", insiste-t-il. Quand les jeunes mamans ont “une volonté ferme, un désir profond” et que le soutien parental leur permet de "dédramatiser", la grossesse et les premiers mois sont nettement mieux vécus. Les intervenants constatent également que les étudiants parents tendent à rester discrets quant à leur parentalité. "Les mères ont parfois un peu peur des réactions de leurs camarades".
En cas de reprise d’études après avoir éduqué des enfants, les personnes concernées doivent aussi faire preuve d’investissement, d’efforts et ont besoin de se sentir soutenues par leur famille. "Le cadre des études supérieures n’est pas vraiment pensé pour des personnes qui auraient à gérer plus que les études mêmes", souligne Aden Gaide. À cela s’ajoute parfois une activité salariée indispensable pour subvenir aux besoins de la famille.
"Il faut aller au-delà de la norme". Pour Michel Younès, la norme devient un "cadre bloquant" quand elle étouffe la vie dans le cas de la venue d’un enfant. "Jésus lui-même a été confronté à la norme de son époque", rappelle-t-il. Pour aller au-delà de cette norme, justement, les universités mettent en place des dispositifs pour aider les étudiants parents.
"Maintenant que la contraception est diffusée et que l’avortement est légal, il existe une trajectoire qui fait que l’on peut décider du bon moment pour avoir un enfant", pointe Aden Gaide. Les cas de grossesse chez les jeunes étudiants sont donc plus rares, mais ne sont pas négligeables. "Du côté éducatif, on doit s’adapter aux étudiants". À cet égard, Michel Younès souligne les "bons côtés de la révolution numérique", qui permet d’accompagner les étudiants à distance. "Il faut poursuivre cet effort pour prendre en compte les cas de figures qui se présentent". Les universités sont aujourd’hui obligées de mettre en place un régime spécial d’études (RSE). Ainsi, avoir un enfant donne droit à un certain nombre d’avantages, comme le choix de l’emploi du temps ou la dispense d’assiduité.
L’image de l’étudiant dans le prolongement de sa jeunesse et de son insouciance s’oppose à l’idée qu’être parent, c’est être adulte. Si les jeunes parents ont un "rapport plus distancié à leurs études", il n’en reste pas moins qu’être étudiant "mais aussi salarié, parent ou permanent d’une association... rend moins nécessaire une intégration sociale au sein de l’institution".
À l’aide des parents et des grand-parents s’ajoutent celles de l’État et de l’université. En mai 1968, les universités voient émerger des "crèches sauvages". "C’était d’abord une salle occupée par des enfants à la Sorbonne, jusqu’à ce qu’une femme en fasse un lieu d’expérimentation pédagogique", explique Aden Gaide. Rapidement, des crèches sauvages émergent dans les facultés de France. Elles sont un "mode d’action original puisqu’il s’agit d’occuper un espace avec des enfants". Aujourd’hui, ce modèle existe encore dans certaines universités, plus pour des questions pratiques que comme un mode de contestation.
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