Ce mercredi 22 janvier, entre en vigueur la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne. Plus de 300 navires français sont concernés. Ils devront rester à quai pendant quatre semaines. Une enveloppe de 20 millions d'euros d'indemnisation a été annoncée.
Décryptage des impacts économiques de cette décision avec Pascal Le Floc'h, professeur d'économie et directeur adjoint de l'UMR AMURE (Aménagement des Usages, des Ressources et des Espaces marins et littoraux) à l'UBO, affecté à l'IUT de Quimper.
Quels sont les impacts économique de cette fermeture pour les entreprises de pêche ?
Pascal Le Floc'h : Du point de vue économique, il n'y a rien d'inédit. Les mesures de compensation existent et c'est relativement ancien. On peut remonter à la fin des années 90 avec des crises liées au prix du carburant qui se sont succédé où l'Etat a mis en place des outils de compensations, non pas au chiffre d'affaires qui diminuait mais au coût énergétique qui augmentait. Plus récemment, le développement des parcs éoliens en mer, pendant la phase de construction, a rendu impossible l'activité de pêche et là aussi il y a eu des mesures de compensation sur la base des chiffres d'affaires déclarés sur la période visée par la fermeture. Il y a donc des mesures de compensation pour soulager la trésorerie des entreprises de pêche.
Quelles répercussions, plus largement, sur le territoire ?
Pascal Le Floc'h : Il y a les effets et impacts directs sur les entreprises de pêche, naturellement ce ne sont pas des mesures faciles à accepter pour les pêcheurs mais quelque part, c'est la recherche d'un compromis entre la protection des espèces et l'activité de pêche comme activité professionnelle. Mais ce qui est moins perceptible et plus difficile à anticiper, ce sont les répercussions indirectes sur toute la filière ; la commercialisation, la distribution, ... Cela veut dire que pendant un mois, les poissons plats, la sole, le merlu, ne seront plus distribués sur les étals. Et cela peut avoir des effets : les mareyeurs ou distributeurs vont chercher d'autres sources d'approvisionnement sur l'importation ou alors d'autres espèces qui pourraient pallier le manque pendant les quatre semaines et là il n'y a pas d'outils de compensation indirecte, donc quelque part, c'est le marché qui va apporter d'autres alternatives.
Il n'y a pas de fortes inquiétudes sur un retournement du marché
Si les mareyeurs se tournent vers d'autres criées pendant cette période, à moyen, long terme, vont-ils continuer à s'approvisionner ailleurs ?
Pascal Le Floc'h : En terme de retour d'expérience, après les fermetures de la pêcherie d'anchois ou de merlu sur les années 2000, la fermeture était sur une durée beaucoup plus longue, ce qui veut dire qu'à un moment, on ne peut plus pallier l'absence d'une espèce à laquelle les consommateurs étaient habitués. Et donc les acteurs de l'aval de la filière vont rechercher d'autres sources d'approvisionnement. Un marché peut être perdu et le prix également.
Là on est quand même sur une durée relativement courte. En plus, en janvier et février, ce n'est pas la période la plus forte en terme de consommation, donc en principe, il n'y a pas de fortes inquiétudes sur un retournement du marché.
Le comité national des pêches maritimes et des élevages marins évoque dans un communiqué, la "mise à mort à petit feu d'une filière", partagez-vous ce constat?
Pascal Le Floc'h : La mise à mort, je n'y crois pas. Il faut regarder ce qu'il se passe depuis trente ou quarante ans ... Au début des années 80, on comptabilisait 12 000 navires de pêche en France, lorsque la politique commune des pêches a été actée en 1983. Trente ans plus tard, cela a été divisé par trois. On était à moins de 5 000 navires et aujourd'hui, on doit tourner autour de 4 000 navires actifs.
Il y a clairement une reconversion, un changement très profond de l'industrie des pêches, ce n'est pas une mort à petit feu mais ce qui est certain, c'est qu'on a changé de paradigme au début des années 2010-2012 puisqu'il faut rappeler que la pêche, en France, est une gestion exclusive de l'Union européenne. On lui a confié la gestion et en 2012, a été acté que le format des flottilles, le nombre de navires et puis la pression de pêche devaient contribuer à ce qu'on appelle le rendement maximal durable, c'est à dire la protection des stocks ciblés et donc de fait, cela a conduit à réduire le nombre de navires de pêche. Mais ce n'est pas une mise à mort.
Peut-être un témoignage optimiste avec la mise en place de parc éolien en mer. Cela a été relativement difficile à faire accepter et les premiers retours ne sont pas si négatifs que ça de la part des pêcheurs avec la cohabitation avec les éoliennes en mer.
Comment expliquer cette difficulté d'acceptation de cette mesure ?
Pascal Le Floc'h : Elle ne se mesure pas par des variables économiques de chiffres d'affaires, de coûts de production, mais sur un espace qui, depuis des millénaires, était dédié à l'activité de pêche professionnelle. Donc il y a clairement une perte d'espace et ça ne se mesure pas du point de vue économique. C'est une perte de liberté aussi que perçoivent les pêcheurs et on peut les comprendre. On est plutôt ici dans un domaine de la sociologie, voire de l'anthropologie. Toute la difficulté désormais, c'est de faire accepter la nécessité de cohabitation.
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