Se projeter, imaginer un monde différent: pour François Mandil, c'est ce que devrait permettre une campagne électorale. "Alors qu’il s’agit des deux sujets monstrueux, monumentaux, vitaux, nous ne parlons pas du tout assez du climat et de l’effondrement de la biodiversité, parce que nous n’arrivons pas à donner envie".
L’essence est à 2€ le litre. Si certains semblent s’étonner de cette flambée des prix, les écologistes en parlent pourtant depuis 40 ans, ce n’est pas faute d’avoir prévenu. Le premier constat, c’est que 2€ le litre, c’est dramatique pour un certain nombre de personnes dépendantes de la voiture. Malheureusement, on s’arrête souvent là. Or il suffit juste de pousser un tout petit peu la réflexion pour arriver à "c’est dramatique qu’un certain nombre de personnes soit dépendantes à ce point de la voiture".
Cette situation a provoqué récemment quelques vifs débats comme seuls les réseaux sociaux savent nous en procurer et en particulier sur la possibilité d’utiliser le vélo en zone rurale, ou tout du moins de diminuer l’usage de la voiture. Le secteur des transports est un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Nous n’avons pas le choix, il va falloir le diminuer. Pourtant, cette simple évocation fait de vous un "bobo urbain", on vous invite à "venir voir dans les campagnes où tout est loin et où on n’a pas le choix de prendre la voiture". Fermez le ban, le débat est clos.
Oui, c’est vrai, tout est loin. Oui, c’est vrai, aujourd’hui (et j’insiste sur le "aujourd’hui"), on ne peut pas faire autrement. On oublie trop souvent que depuis des décennies, toutes les politiques d’aménagement du territoire ont été pensées, conçues avec le présupposé d’un pétrole bon marché et inoffensif. La ruralité, comme les villes, ont été aménagées au 20ème siècle, pour et par la voiture. La désertification rurale est une conséquence directe de cet aménagement du territoire. Alors oui, aujourd’hui, il est presque impossible de diminuer l’usage de la voiture à la campagne. Pourtant, on pourrait se projeter, on pourrait imaginer : la relocalisation de l’économie, le retour des bassins d’emploi en zone rurale, le financement des transports en commun du quotidien au lieu de ces LGV, qui transforment la campagne en musée, la mutualisation des biens, les transports à la demande … Tout ça, ce sont des politiques publiques.
La solution, elle est politique, elle est collective. Il faut à tout prix arrêter de parler des gestes individuels car, on l’oublie trop souvent, ce sont les riches qui polluent le plus. Plus vous êtes riches, plus vous consommez. La solution est donc aussi dans la redistribution des richesses. Et si je prenais cet exemple très concret, c’est pour illustrer que nous avons à nous projeter, à imaginer un monde différent.
Or, finalement, qu’est-ce que c’est qu’une campagne électorale si ce n’est un débat entre différents projets de société. Se contenter de débattre de mesures, c’est très bien, mais c’est vite technocratique. Alors qu’il s’agit des deux sujets monstrueux, monumentaux, vitaux, nous ne parlons pas du tout assez du climat et de l’effondrement de la biodiversité, parce que nous n’arrivons pas à donner envie. Parce que ces sujets sont abordés sous un angle technique et négatif, que sous l’angle des renoncements, sous l’angle financier. Pourtant, imaginez un instant, des campagnes repeuplées, imaginez un monde où on ne soit pas obligé de faire 1h de voiture pour aller travailler, en ajoutant 30 minutes de détours pour aller déposer vos enfants au collège. Imaginez un monde de solidarité, de collaboration et de mutualisation. On a du mal à le faire parce que c’est une société qu’on n’a encore jamais vue.
Alors, sans projet, sans récit d’avenir, sans enthousiasme pour la société de demain, il ne reste plus que les récits de colère ou les récits d’individualisme libéral ou la seule valeur est marchande. Dans ces récits, le climat n’a pas sa place.
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