Au cours de cet été si lourd, en tous sens du terme, un homme – parmi bien d’autres dans notre monde, fut attaqué au couteau. Une tentative de meurtre, dont s’est rendu coupable un autre homme prétendant ne pas l’être. La victime se nomme Salman Rushdie et son meurtrier paraît bien convaincu de n’avoir tenté de ne supprimer que des idées, motif peut-être pour lequel il plaide non-coupable.
Mais voilà cette tentative de meurtre est bien réelle et elle est sur un homme en chair et en os. Un homme, juste écrivain, comme étaient juste journalistes les morts de Charlie en 2015 ou simplement professeur Samuel Paty en 2020. Une plume et de l’encre oui, mais avec une main et du sang pour la faire vivre, et une intelligence – vive – et une histoire, des amours, des douleurs. Une existence. Et une œuvre.
Salman Rushdie n’est pas une idée, et son assaillant s’est bien servi d’un couteau, et non d’un papier, pour supprimer un homme et non son effigie. Voilà 33 ans que ce romancier, immensément reconnu depuis 40 ans, lauréat de prix littéraires prestigieux, voici donc 33 ans qu’il souffre en sa chair comme en son âme d’un "détournement de son destin" par la volonté destructrice d’un ayatollah fanatique.
Si son agresseur du 12 août dernier imaginait supprimer par les armes un livre, une pensée, une œuvre, c’est bien alors le contraire qui se produisit puisque depuis bien longtemps nul n’avait autant parlé du romancier britannique ni acheté massivement ses livres.
À quoi pensait cet homme au couteau ? "Sans doute ne pensait-il pas", comme l’écrit si justement la philosophe Ayyam Sureau. Bien malheureusement il ne pensait pas. Car si les fanatiques en tout genre, se réclamant ou non d’un dieu, croient atteindre la liberté de penser, d’imaginer d’argumenter en tuant des hommes, l’obscurantisme d’où qu’il vienne, hier comme aujourd’hui, n’en finira pas avec la liberté car elle est justement humaine.
C’est qu’il est bien pauvre pour manigancer la mort de l’esprit libre, de la conscience souveraine, en tuant ou tentant de tuer une de ses voix de chair et de sang. Oui il faut penser, écrire et prendre la parole, non pour blesser, asservir, rabaisser quiconque. Juste pour raconter la complexité du monde et la nôtre foncièrement. Celle de toute vie de femme et d’homme. Raconter notre capacité à être ceci et cela, pour refuser toute simplification, tout simplisme, tout complotisme, tous réducteurs de l’humain.
La littérature est le théâtre de l’heureuse complexité humaine, où se signifie que chacun est traversé de multiples identités et places. "Lorsque nous succombons (au) rétrécissement..., alors il nous devient plus facile de voir en l’autre un ennemi", écrit Salman Rushdie, dans un recueil à paraître dans quelques semaines. La littérature est bien de ce qui nous prémunit contre ce
rétrécissement. N’hésitons pas à bénéficier de cet antidote !
Véronique Margron, op
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